dimanche 24 novembre 2024 19:30

Jugée majeure puis mineure, une immigrée victime d'examens osseux non fiables

Clarisse* a dû raconter son histoire à de nombreuses reprises, d'abord au foyer d'urgence qui l'a recueillie quand elle était à la rue, puis à la police, qui l'a interrogée quand elle a voulu porter plainte contre l'homme qui la forçait à se prostituer, et enfin au juge des enfants qui devait déterminer si elle était mineure ou non. Mais quand il s'agit de parler de sa vie d'avant, les mots manquent.

A seulement 16 ans, Clarisse est chassée de chez elle par le nouveau mari de sa mère et se retrouve seule dans les rues de Kinshasa. Elle essaye de se prostituer, une fois, pour gagner de quoi manger, mais « j'étais vierge, ça m'a fait mal, et j'ai décidé de ne plus le faire », raconte-t-elle. Un homme décide alors de s'occuper d'elle et de l'emmener en France.

C'est seulement une fois arrivée dans le pays qu'elle se rend compte que l'homme veut la prostituer. Rapidement, elle ose se confier à son deuxième client, étonné de la voir si jeune. Ce dernier l'emmène à un foyer d'urgence pour mineurs, en banlieue de Paris, où on la recueille. La police est appelée, afin de porter plainte contre son proxénète. « J'avais peur qu'il me retrouve et qu'il me tue », raconte Clarisse, un mouchoir à portée de main.

« IL NE FAUT PAS S'INQUIÉTER, CES TESTS SONT PARFOIS VRAIS, PARFOIS FAUX »

C'est au foyer que surgit un nouveau problème de taille : Clarisse n'a pas de papiers. La police engage alors une enquête en République démocratique du Congo, pour essayer de retrouver sa trace et se procurer un extrait d'acte de naissance. Avant que les recherches n'aboutissent, Clarisse est emmenée à l'hôpital de Garches (Hauts-de-Seine), afin de faire un test de dépistage du sida. Ce qu'on ne lui dit pas, c'est qu'elle va aussi subir un test osseux et un test dentaire, deux examens médico-judiciaires censés déterminer son âge.

Car en France, les mineurs isolés étrangers ne sont pas traités de la même manière que les majeurs. Jusqu'à leurs 18 ans, les immigrés sont en effet pris en charge par l'Aide sociale à l'enfance (ASE) au nom du dispositif juridique de protection de l'enfance, applicable sans condition de nationalité. En l'absence de papiers d'identité, la justice a recours à des examens physiques, censés estimer au plus près l'âge du jeune immigré.

Lire aussi le décryptage : L’examen osseux, un « couperet » pour les jeunes immigrés

Seulement, ces examens sont loin d'être fiables, ce que Clarisse apprend à ses dépends. L'examen osseux lui donne 18 ans, quand l'examen dentaire lui en donne 17. La jeune fille a 16 ans et trois mois, et son éducatrice essaye de la rassurer : « Il ne faut pas t'inquiéter, ces tests sont parfois vrais, parfois faux. » L'été passe, Clarisse part en colonie de vacances avec ses nouveaux amis du foyer – les choses semblent s'arranger.

A la rentrée, un coup de théâtre vient tout bouleverser : la police appelle l'ASE pour lui annoncer que, selon l'enquête, Clarisse est majeure. Son extrait d'acte de naissance n'est pas jugé fiable, car son prénom y comporte une lettre en trop. Une semaine après – c'était un jeudi matin, le dernier d'octobre –, la jeune fille est mise à la porte avec ses affaires et un ticket de métro dans la poche.

RECOURS AU JUGE POUR ENFANTS

Au SAMU social, on lui répond que les mineurs ne sont pas pris en charge. Chassée de son foyer de mineurs car jugée majeure, et refusée ailleurs à cause de ses 16 ans dont atteste son extrait d'acte de naissance, Clarisse ne sait où aller. Une éducatrice lui propose alors de la déposer à l'association France terre d'asile, qui accueille les réfugiés. Sur le chemin, elle appelle un juriste qui lui dit de se rendre tout de suite au tribunal de Nanterre, afin de porter plainte auprès de la juge des enfants. Là, Clarisse raconte une nouvelle fois son histoire, qui étonne : la police n'a en effet pas le pouvoir de demander un test osseux sans la décision d'un juge.

Au tribunal, on demande à l'ASE de la prendre en charge provisoirement, pour un mois de plus, le temps de lancer une nouvelle procédure. En novembre, une juge ordonne donc qu'on lui fasse faire un examen complet à l'Hôtel-Dieu, où se situe la plus vieille unité médico-judiciaire de France. Une nouvelle fois, Clarisse subit des examens osseux et dentaires, auxquels on ajoute un examen morphologique, pour lequel on lui demande de se déshabiller. « Je voulais refaire le test, explique Clarisse, pour prouver que j'étais mineure. » A l'ASE, on l'accuse d'avoir 25 ans car comment, autrement, aurait-elle eu l'idée d'aller porter plainte auprès du juge pour enfants ?

Lors de la deuxième audience, en décembre, on juge qu'elle doit être prise en charge jusqu'à ses 18 ans. Les tests ont finalement été jugés « compatibles » avec l'âge qu'elle avait déclaré. Clarisse a alors 16 ans et huit mois ; elle retourne dans l'hôtel dans lequel elle loge depuis la fin octobre. En septembre, quand elle aura 17 ans et demi, elle pourra tenter de lancer la procédure d'acquisition de la nationalité française.

En attendant, elle prend des cours de français pour se remettre à niveau, dans l'espoir de repasser le test d'entrée au CAP petite enfance, qu'elle avait raté à la rentrée dernière. Le week-end, elle peut aller voir ses amies du foyer d'urgence, grâce à son passe Navigo. Sur lequel figure aussi la faute d'orthographe dans son nom.

08.05.2014,  Delphine Roucaute

Source : Le Monde

 

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