dimanche 24 novembre 2024 18:50

France : à Calais, une évacuation sans issue pour les migrants

C’est sous un ciel gris que les forces de l’ordre ont commencé, mercredi 28 mai à l’aube, à démanteler deux grands campements de migrants situés en plein centre-ville de Calais.

Les 550 Erythréens, Soudanais, Afghans ou Syriens qui, depuis huit mois, en avaient fait leur abri de fortune, n’ont pas résisté aux CRS qui les encerclaient progressivement. Les tentes et bâches plastique qui leur servaient de toit devaient être détruites dans la foulée.

Vers 10 heures, toutefois, certains avaient commencé à se barricader à l’intérieur d’un parking à ciel ouvert, situé à côté et cerné de grillage, qui sert d’ordinaire à la distribution du dîner gratuit auquel ils ont droit chaque soir. Bien que la préfecture se soit engagée à ne faire aucune interpellation, un certain nombre hésitaient à prendre les cars censés les emmener prendre des douches avant qu’ils ne soient libérés.

Ce démantèlement illustre l’absence de solutions, depuis plus de dix ans, proposées pour régler le sort des étrangers irréguliers qui tentent chaque jour de rejoindre clandestinement le Royaume-Uni. « J’arrête, j’abandonne, je vais prendre un train pour Paris », disait deux jours plus tôt, découragé, Saif, un Erythréen de 41 ans, anticipant la destruction de sa tente posée près de tas de mouchoirs sales et dans une odeur pestilentielle d’urine. Un mois que cet ex-professeur d’anglais qui avait quitté son pays trois ans plus tôt tentait de gagner l’Angleterre tout en préservant un semblant d’hygiène. Mais après quatre tentatives avortées, il était las. Emmitouflé dans un grand manteau, il s’en est allé avec pour tout bagage une mallette noire.

Le préfet du Pas-de-Calais, Denis Robin, avait annoncé le démantèlement le 21 mai. Une des raisons invoquées : la concentration de migrants sur ces petites surfaces. Lundi 26 mai, on comptait plus de 85 tentes sur l’une, 120 sur l’autre. L’un des campements était situé sur un quai étroit en bord de canal. L’autre se trouvait face à la CCI. Les deux terrains appartiennent à la région (PS) et ce n’est qu’il y a quelques jours, selon la préfecture, qu’elle aurait donné son feu vert à une évacuation.

Alors que plus de 31% des Calaisiens ont voté pour le FN aux élections européennes, le 25 mai, les tensions étaient de plus en plus vives avec les riverains. « Il y a des gens qui nous font des doigts d’honneur, d’autres qui crient et lancent des pierres », ont rapporté au Monde plusieurs migrants, dont Mahmoud (pseudonyme), Syrien de 30 ans. Arrivé à Calais il y a cinq mois, il enregistre déjà près de vingt tentatives ratées pour le Royaume-Uni: « Ici, on vit comme des animaux, mais où aller d’autre ? »

EPIDÉMIE DE GALE

L’autre argument avancé par la préfecture pour démanteler les campements : l’insalubrité. Faute de poubelles, des montagnes de détritus ont fini par s’entasser. Les migrants vivaient dans une déchetterie à ciel ouvert. Une épidémie de gale a en plus commencé à se propager, il y a six semaines. « 20 à 25% des migrants sont contaminés, expliquait au Monde, lundi, M. Robin. C’est une question de santé publique. » Un argument dénoncé par les associations de défense des étrangers. Dans un communiqué diffusé le 27 mai, elles ont estimé que la gale servait surtout de « prétexte ». Le protocole mis en place par la préfecture pour enrayer la maladie – distribution d’un cachet aux migrants lors du dîner que propose quotidiennement une association, douches collectives, soutien logistique de la Croix-Rouge – leur paraît insuffisant pour avoir un réel effet thérapeutique.

Les associations ont surtout dénoncé, mardi, le fait que peu de solutions de mises à l’abri soient proposées aux migrants suite au démantèlement. Depuis août 2012, une circulaire oblige en principe les pouvoirs publics à proposer un relogement. Pour les mineurs, la préfecture avait bien prévu, mercredi, de réquisitionner une base de loisirs. Les migrants qui veulent demander l’asile devaient être orientés vers des centres d’hébergement. Pour les autres, aucune alternative n’était envisagée. Une décision en partie liée au fait que très peu de migrants acceptent de s’éloigner de Calais, préférant rester proches des ferries pour poursuivre leurs tentatives de traversée. « Moi, j’ai mis mes couvertures dans un sac et mes habits dans un autre », expliquait, lundi soir, un Afghan de 38 ans. Comme d’autres, il envisageait de retourner s’installer dans un des petits campements cachés dans les dunes, à l’écart de la ville.

ENTRE UN ET CINQ MOIS POUR RALLIER L’ANGLETERRE

Les terrains rasés mercredi illustrent en fait l’entre-deux impossible dans lequel se trouvent migrants, associations et autorités, depuis la fermeture du centre de Sangatte, en 2002. Cet immense hangar avec douches, toilettes, géré à l’époque par la Croix-Rouge, avait été installé sur une commune à 12 km de Calais. Il avait une capacité d’accueil de 800 personnes. Mais il s’était progressivement retrouvé à héberger jusqu’à 1800 personnes. Après sa clôture, les migrants s’étaient peu à peu regroupés – jusqu’à 800 – sur un terrain vague dans une zone artisanale de Calais : la « jungle ».

Un temps tolérée, elle avait été rasée en 2009. Depuis, le flux de migrants a diminué. Il s’est stabilisé autour de 800 personnes sur le littoral de la Manche. Mais il ne s’est jamais tari, variant juste au gré des conflits dans le monde et des démantèlements de filières. L’extrême précarité des conditions de vie dans les squats qui se sont multipliés dans les dunes ou des maisons abandonnées n’y a rien changé.

Quand ils ne se découragent pas, les candidats à l’émigration mettent entre un et cinq mois pour rallier l’Angleterre. Face à cette impasse, Médecins du monde (MDM) essaie depuis peu de convaincre des municipalités du littoral de mettre en place des solutions alternatives. Près de Dunkerque, elle a ainsi installé, en 2012, six abris en bois d’une capacité totale de 50 personnes. Le confort est sommaire, « mais il correspond aux conditions d’un camp de réfugiés et il n’y a pas d’appel d’air », explique Cécile Bossy, coordinatrice de MDM. L’avant-veille des démantèlements, un Afghan montrait au Monde le seul abri en bois bricolé de son campement: « C’est notre Taj Mahal! », plaisantait-il.

28.05.2014,  Elise Vincent

Source : LE MONDE

 

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