jeudi 4 juillet 2024 20:11

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Tamanrasset : les migrants abandonnés et stigmatisés

Les Subsahariens sont présents en force à Tam. Ils sont partout : dans les cafés, les marchés, sur les chantiers ou flânant dans les rues. Toutefois, aucune des parties concernées ne souhaite donner une évaluation ne serait-ce qu’approximative de leur nombre. Pour des raisons inexpliquées, la simple évocation de ce phénomène irrite les responsables locaux. «L’immigration clandestine ne nous concerne pas. La frontière est fermée et celui qui veut enquêter qu’il aille au Niger», nous a déclaré le wali de Tamanrasset, Abdelhakim Chater, au cours d’une très brève entrevue.

Un responsable sécuritaire tente d’expliquer l’attitude du wali : «Il n’est pas autorisé à parler de ce phénomène. C’est un sujet très sensible qui a une dimension internationale. Cela dépasse les attributions d’un simple wali.»

Les autorités sont «déconcertées» par l’arrivée d’une délégation de la Croix-Rouge venue enquêter sur les conditions de détention des migrants subsahariens. Les enquêteurs se sont rendus à la prison de Tamanrasset et ont interrogé directement les détenus. Les autorités algériennes «n’ont rien à se reprocher puisque les détenus subsahariens sont traités comme les détenus algériens», assure la même source. Les services de sécurité ne veulent ou ne peuvent pas avancer des chiffres concernant le nombre de migrants vivant à Tamanrasset.

«On ne peut pas donner de chiffres précis. Ils entrent de manière clandestine et la majorité d’entre eux ne restent pas ici. Ils vont au Maroc, à Oran, à Alger… C’es très compliqué.» Les forces de police et de gendarmerie ont été instruites il y a plusieurs mois d’arrêter les opérations de refoulement des ressortissants étrangers qui entrent illégalement en Algérie. La mesure profite à tout le monde sans exception, «même les migrants arrêtés pour vol, trafic de drogue et autres crimes sont relâchés une fois leur peine purgée.» La même source accuse la population locale de «complicité» avec les migrants : «Ce sont les habitants de Tam qui les font entrer en Algérie et en plus on leur loue des maisons et des locaux.»

Les craintes de La population

L’incapacité des autorités à gérer le flux migratoire n’a pas manqué de susciter l’inquiétude de la population.
Les jugements et les réactions sont souvent sévères, voire mâtinées de racisme. Dans l’imaginaire, les subsahariens sont mêlés aux trafics en tout genre. Les migrants qui fuient des situations de conflits exacerbés et la misère extrême vécue dans leurs pays respectifs se retrouvent ainsi stigmatisés et poussés dans les retranchements du dénuement. Et pour survivre, certains parmi eux  se rabattent sur des «activités» pas toujours régulières, ce qui bien entendu grossit les traits de cette réputation de fauteurs de troubles.

Il n’est pas rare par ailleurs, comme c’est le cas ces derniers temps, qu’ils soient les premiers à être pointés du doigt lorsque la moindre épidémie se déclare.  Avec la situation de guerre au nord du Mali, une autre forme de suspicion prend place,  elle est liée au terrorisme. C’est dire si la défaillance de l’Etat à prendre au sérieux le problème des flux migratoire et de réfugiés ne participe pas à mettre en présence les ingrédients du rejet dans ces contrées connues pourtant pour leur hospitalité.   M. Zanami, un Targui de Guettaa El oued, demande à l’Etat de «réserver une place spéciale pour les migrants près de la frontière, à In Guezzam, à Tinzaouatine ou à Bordj Badji Mokhrar». L’image que l’on veut donner des les migrants subsahariens n’est pas toujours conforme à la réalité. Après avoir risqué leur vie en traversant le désert, beaucoup de migrants travaillent dur pour pouvoir survivre.
Histoires de migrants

Aboubaker Djebril vient du Niger. Il a bien voulu nous raconter son histoire.  «Je suis venu il y a deux ans. Nous étions un groupe de 15 personnes. Avant d’arriver à In Guezzam, le passeur nous a demandé de descendre et de nous disperser pour ne pas attirer l’attention des gardes frontières. Quand je suis arrivé à la ville d’In Guezzam (450 km au sud de Tam), un autre passeur nous a ramenés jusqu’à Amsel  (à 45 km de Tam). Et là, j’ai pris un taxi jusqu’à la ville. Nous étions sept seulement à arriver à Tam», raconte l’homme de 35 ans. Pour lui, il n’y a aucun doute sur le sort des huit autres migrants disparus. «On s’est renseigné auprès de leurs cousins ici et au Niger. Personne ne les a revus. Ils sont sûrement morts en route.» La disparition de 46 migrants nigériens la semaine dernière près d’In Guezzam ne semble pas l’étonner. «Ça a toujours été comme ça. Avant de venir en Algérie, je savais que je risquais de mourir en route. Tout le monde le savait. Chaque jour que Dieu fait, il y a des migrants africains qui périssent dans le désert.» Boubaker se plaît à Tam : «Je suis cordonnier. Je gagne ma vie honnêtement ici. Là où je trouve mon pain, c’est mon Europe.» 

- Kouinda Jisolée, par contre, ne compte pas rester en Algérie où il est arrivé il y a à peine six mois. Il vient du Cameroun et compte poursuivre sa longue route vers l’«eldorado» européen. «J’ai quitté le Cameroun pour le Nigeria il y a 10 ans. Je suis monté ensuite au Niger et je me retrouve aujourd’hui à Tamanrasset. Si Dieu le veut, je vais partir d’ici dans deux semaines pour aller au Maroc. J’espère ensuite aller en Espagne. J’ai ma petite sœur qui vit là-bas.» Le jeune Camerounais se présente comme étant un «artiste chanteur» qui a «trois albums» à son actif. Les circonstances l’ont obligé à devenir maçon. Un métier qui lui permet de vivre et de mettre de côté un peu d’argent pour financer son long périple.

- Sandrine vient également du Cameroun. Elle vit à Tam depuis presque deux ans. «Je suis Camerounaise. J’ai eu des difficultés au pays. Tout allait mal pour moi. Je suis partie au Nigeria, puis au Niger. J’ai dépensé plus de 500 000 francs CFA (environ 150 000 DA) pour arriver ici. Je suis tombée sur des arnaqueurs qui m’ont volé mon argent», raconte la jeune femme. A l’instar de son compatriote chanteur, elle ne compte pas s’établir en Algérie. Son objectif est d’aller en France. En attendant, elle a ouvert un petit restaurant à Guetaa El Oued. L’affaire «marche chwya chwya (un peu)». Sandrine a une fille d’environ un an qui s’appelle Maïza. «C’est une Algérienne. Elle est née ici»,dit la jeune mère en riant.

Le CRA prépare l’ouverture d’un camp de réfugiés

Le Croissant-Rouge algérien (CRA) accélère ses préparatifs en prévision de l’«afflux massif» de réfugiés maliens et nigériens. «L’arrivé des flux de réfugiés est une éventualité. Nous nous préparons pour y faire face», indique Moulay Cheikh, président du bureau du CRA à Tamanrasset. Selon lui, un camp de réfugiés sera ouvert prochainement dans la wilaya de Tamanrasset. Si bien que des membres du CRA ont été envoyés la semaine dernière en stage de formation à Alger, et les moyens matériels (véhicules, tentes, médicaments et denrées alimentaires…) seront renforcés.
Le lieu devant accueillir ce camp n’est pas encore déterminé, dit-il. Pour l’instant, les «rares migrants qui se déclarent réfugiés» sont transférés vers le camp de Timiaouine, dans la wilaya d’Adrar qui accueille principalement les réfugiés ayant fui la guerre au Mali. Moulay Cheikh assure que le CRA fournit des denrées alimentaires, des couvertures et des médicaments à tous les nécessiteux à Tamanrasset, «sans distinction» entre migrants ou citoyens algériens.

5 questions à un passeur

- Comment êtes-vous devenu passeur ?

J’ai commencé très jeune. Je ne sais rien faire d’autre. Beaucoup de gens de Tamanrasset sont comme moi. On ne nous a pas appris à faire autre chose. Quand il y a eu chez vous, au Tell, ce que vous appelez la décennie noire, pour nous c’était la décennie de l’enrichissement. Ce n’est qu’à partir de 2004 que l’Etat a commencé à resserrer l’étau sur les contrebandiers.

- Comment vous faites pour avoir des clients ?

Nous, les Touareg, nous n’avons pas de problèmes au Niger et au Mali. On ne nous demande même pas les papiers. Je connais des gens à Kidal (Nord Mali) et au Niger. Ils me ramènent des «Souadines» (les Noirs) qui veulent venir à Tam. Ma Toyota prend jusqu’à 22 personnes. Je donne à l’intermédiaire 5000 francs CFA pour chaque personne.

- Et combien exigez-vous des migrants pour les faire entrer à Tam ?

Ça dépend du trajet. Si je les ramène de Tissalit ou d’In Khalil, le prix est 50 000 francs CFA (environ 15 000 DA). De Kidal, le prix augmente à 60 000 francs CFA, et quand des Nigériens arrivent à Guezzam, je les ramène pour 40 000 francs CFA. Le prix augmente aussi pour les migrants qui viennent du Nigeria et du Ghana. Ils ont les poches pleines de dollars. Il m’est arrivé de les ramener d’In Salah à Tam pour 10 000 DA par personne. On ne peut pas demander ce prix aux migrants maliens et nigériens. Ils sont très pauvres.

- Est-ce qu’il vous est arrivé d’abandonner vos clients sur la route ?

Jamais. Moi, jamais. Il y a des passeurs qui ne craignent pas Dieu. Ils les abandonnent en plein désert. Les plus chanceux arrivent à Tam, et les autres crèvent de soif. Ça arrive tous les jours. Les passeurs les abandonnent pour fuir les GGF ou l’armée.

- Avez-vous été arrêté par les gardes frontières ?

On m’a arrêté une seule fois il y a plus de cinq ans. Je transportais du carburant pour Kidal. L’Etat est injuste. Les responsables volent des milliards et personne ne peut leur demander des comptes, et lorsqu’un pauvre homme vend un baril d’essence à la frontière pour nourrir sa famille, on lui saisit son véhicule et on le met en prison.

Farouk Djouadi

Source : .elwatan.com

 

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