Des chercheurs marocains et français ont passé au crible, vendredi à Rabat, les mutations et dynamiques du flux migratoire marocain en France et mis en avant les aspirations des Marocains de l'Hexagone.
Ainsi, Antoine Dumont, un géographe français, a relevé, lors d'un panel organisé à la Bibliothèque nationale du Royaume, que la présence des Marocains en France ne date pas d'hier, mais remonte, pour le moins, jusqu'au 19ème siècle, notant que la France demeure, jusqu'à présent, le premier espace d'installation des migrants marocains.
Si leur motif était initialement purement économique, les migrants marocains présentent aujourd'hui des motivations aussi diverses que complexes, car même avec la fermeture progressive des frontières françaises et européennes à l'immigration de travail, les flux continus sont loin d'être stoppés et concernent désormais femmes et hommes, enfants et retraités, ruraux et urbains, commerçants et salariés, élites socio-économiques et main-d'oeuvre non qualifiée, a souligné M. Dumont dans un exposé intitulé "De l'émigration économique aux nouvelles circulations: mutations et dynamiques migratoires".
Après avoir rappelé que l'émigration marocaine a connu son essor avec la signature en 1963 de l'Accord franco-marocain de main d'oeuvre, le chercheur français, auteur d'une thèse en 2007 sur "la marocanité associative en France: militantisme et territorialité d'une appartenance exprimée à distance", a souligné qu'il n'était plus question de parler de migration économique, mais plutôt de circulations multiples des immigrés marocains.
L'immigration, a-t-il poursuivi, a concerné jusqu'aux années 70s, particulièrement les zones rurales du Royaume avant qu'elle ne commence, à partir des années 80s, à toucher d'autres régions du Maroc, notamment l'axe Kénitra-Casablanca et les plateaux de Fès et Meknès.
A l'heure de l'"Europe forteresse", marquée par la signature des accords Schengen en 1992, les itinéraires des migrants marocains se complexifient donnant lieu à une véritable multipolarisation du champ migratoire, portée par des circulations familiales, marchandes et religieuses qui ont contribué à la multiplication des flux entre les lieux d'origine et d'installation, a-t-il ajouté, faisant observer que durant la dernière décennie la répartition des migrants marocains tend à s'équilibrer à l'échelle européenne et le taux de naturalisation s'est remarquablement élevé, notamment en France.
Evoquant les mutations démographiques et socio-économiques, le chercheur français a indiqué que la population marocaine en France connait un double processus de féminisation et de rajeunissement, conséquence du regroupement familiale, alors qu'une sédentarité règne parmi les immigrés marocains, mais s'accompagne d'une intensification de la circulation migratoire entre la France et leur pays d'origine, a-t-il insisté.
A son tour, M. Adil Jazouli, sociologue franco-marocain, a souligné que les immigrés marocains, dont le motif majeur était d'ordre économique, ont su sortir de leur vie simple dans les quartiers populaires des grandes agglomérations françaises pour s'imposer dans la société française, tout en restant attachés à leur culture, religion et à leur pays d'origine.
Si la première génération des émigrés marocains a choisi de vivre dans l'invisibilité, les 2ème et 3ème ont opté eux pour l'installation permanente en France et saisir les opportunités qui y sont offertes particulièrement en matière de scolarisation, a-t-il ajouté, notant que ces jeunes français d'origine marocaine sont arrivés à s'intégrer et entretenir une belle réputation, contrairement à d'autres catégories de migration en France.
Dans son exposé "les Marocains de France: d'une génération à l'autre, situation et aspirations", M. Jazouli a par ailleurs estimé que la mobilité des Marocains de France est de plus en plus mondiale, car, dans un contexte de mondialisation du marché de travail, les immigrés, de 3ème génération surtout, n'hésitent plus à partir à la quête de nouvelles opportunités dans les quatre coins du monde, et au Maroc en particulier.
De son côté, l'historienne Naïma Yahi s'est arrêtée, lors de son intervention axées sur les "Paroles de l'exil: l'apport des Marocains à la création culturelle en France", sur l'impact culturel de la diaspora marocaine, qui a réussi tant bien que mal à corriger l'image stéréotypée dans l'imaginaire exotique des Français sur le Maroc.
La spécialiste de l'histoire culturelle du Maghreb a, en ce sens, affirmé que des artistes, littéraires, acteurs et humoristes immigrés ont contribué à fleurir les champs artistiques et culturels français, citant à titre d'exemple Driss Chraibi, ou encore Mustapha Idbihi, le passeur de la culture qui permis à plusieurs artistes, chanteurs notamment, de se faire connaitre en France, faisant remarquer que même actuellement la scène culturelle française déborde d'immigrés qui font de l'art un moyen d'intégration mais également d'expression de leur attachement à leur culture maternelle.
Ce panel est organisé dans le cadre du colloque internationale "l'immigration marocaine en France entre histoire et avenir", organisé par le Conseil de la communauté marocaine à l'étranger et l'ambassade de France à Rabat, à l'occasion du 50ème anniversaire de la signature de l'accord franco-marocain de main d'œuvre.
15 nov. 2013
Source : MAP