Une chaussette de bébé, une prière écrite sur un bout de papier chiffonné, une mèche de cheveux... Robin Reineke conserve précieusement ces indices qui permettront peut-être d'identifier les migrants morts dans le désert de Sonoran, en Arizona, en tentant d'entrer aux Etats-Unis.
Cette anthropologue de 34 ans, qui gère le Centre Colibri pour les droits de l'homme à Tucson, essaie d'aider depuis plusieurs années les familles restées sans nouvelles de proches ayant tenté d'entrer illégalement en Amérique, en franchissant la frontière entre le Mexique et l'Arizona (sud-ouest des Etats-Unis).
L'immigration est un des principaux sujets de la campagne électorale, et Mme Reineke est en mesure de pointer précisément du doigt le coût humain de cet exode le long de cette ligne de séparation.
"La réalité dont je suis témoin depuis dix ans, c'est qu'une catastrophe humaine est en train de se produire", explique-t-elle à l'AFP. "En moyenne, 175 corps sont découverts dans le désert chaque année. C'est comme si un avion s'écrasait dans le sud de l'Arizona chaque année depuis dix, quinze ans..."
Un nombre de victimes qui a beaucoup augmenté depuis 2000, du fait du renforcement de la sécurité côté américain, en particulier après les attentats du 11 septembre 2001. Des milliers d'agents patrouillent et des barrières ont été érigées en certains endroits.
Ces mesures poussent des migrants désespérés, fuyant violences et pauvreté chez eux, à emprunter des routes dangereuses où certains meurent de déshydratation l'été, d'hypothermie l'hiver.
"C'est très douloureux, horrible, ces morts solitaires", reprend Robin Reineke. "Et c'est dur de savoir que des gens subissent ça à une demi-heure de chez soi".
Le bilan augmente chaque année durant les mois d'été, quand la chaleur peut dépasser les 50 degrés Celsius dans la fournaise de l'Arizona, note Gregory Hess, médecin légiste du Comté de Pima. "En ce moment, nous avons environ 900 corps non identifiés", poursuit-il.
Les objets personnels retrouvés près des corps sont placés dans des pochettes en plastique, qui sont archivées dans des rangées de casiers orange et dégagent encore l'odeur entêtante des cadavres en décomposition. "L'odeur de la mort", comme le dit Robin Reineke.
Avec ces objets, la jeune femme et son équipe commencent le difficile travail d'identification. Une photo de bébé, un rosaire ou une boucle de ceinture correspondent parfois au signalement d'une personne disparue originaire d'Amérique centrale ou du Mexique, les fiches de recherche étant transmises au Centre Colibri.
"Ces objets sont importants car les morts parlent en quelque sorte aux vivants", note l'anthropologue. Ils "montrent que ces gens ne représentent pas une menace: ils sont profondément liés à leur famille, ils viennent ici pour travailler, ils fuient la violence".
Environ 75% des victimes sont des hommes. Et il y a quelques enfants.
"Nous entrons en contact avec des mères qui nous disent avoir reçu un appel de leur fils disant: +Je vais traverser demain, voilà ce que je porte. Je t'aime et si on ne se revoit pas, sache que je pense à toi+", raconte encore Robin Reineke.
Un cas l'a particulièrement marquée, celui d'un adolescent de 16 ans maximum: "Il était tellement jeune et en bonne santé. L'autopsie a montré qu'il avait l'estomac plein d'épines de cactus et savoir ce par quoi il avait dû passer dans le désert m'a beaucoup touchée".
Selon les autorités, il n'est pas rare que les migrants marchent deux à cinq jours avant de succomber de fatigue, terrassés par la chaleur infernale ou le froid mordant du désert.
Même si leur travail est difficile, Robin Reineke et son équipe sont motivés par la perspective d'aider des familles qui ont perdu un être aimé à faire leur deuil.
Quant à la campagne électorale et au candidat républicain Donald Trump, qui veut construire un mur à la frontière avec le Mexique, Mme Reineke regrette que les migrants soient utilisés comme des bouc-émissaires.
"C'est plus douloureux d'entendre les mots de Donald Trump à propos des migrants que de voir les morts", assure la jeune femme.
3 nov 2016
Source : AFP