On la dit vieillissante, à la démographie morne. Pourtant, il ne faudrait pas annoncer trop vite l'extinction de la puissance allemande. Au contraire, Michel Meyer, spécialiste de ce pays et auteur de "Le Roman de l'Allemagne" (éd. du Rocher), explique que la politique migratoire outre-Rhin est très prometteuse.
Depuis plusieurs décennies, l'Allemagne, se meurt. Elle ne compense plus ses décès avec de nouvelles naissances. L'âge médian y est de 44 ans, contre 40 ans en France. Et l'absence de crèches en nombre suffisant contraint toujours les Allemandes à choisir entre travailler ou avoir des enfants.
Étrangement, l'allitération Kinder, Küche und Kirche – enfants, cuisine et église – reste une règle non écrite contraignante pour les Allemandes. Attribuée à l'empereur Guillaume II, cette formule a été empruntée par Hitler qui initia une politique nataliste offensive visant à ce que chaque Allemande mette aux moins quatre enfants au monde.
Pour autant, il n'est pas sûr du tout qu'en dépit de réticences de fond à toute forme de politique franchement nataliste, les Allemands acceptent de s'auto-exterminer pour ne pas effrayer leurs voisins.
L'Allemagne, Eldorado occidental de jeunes surdoués
A l'heure de la mondialisation, le repli sur soi n'étant plus de mise, même l'Allemagne du droit du sang s'adapte. Comme jamais dans le passé, les entreprises s'emploient à solliciter les meilleurs managers ou experts du monde dès qu'il s'agit d'importer, au service de l'"iConomie" conquérante, des savoir-faire rares ou exclusifs !
En mal de talents, l'espace économique allemand est en passe de devenir l'Eldorado occidental de jeunes surdoués indiens, chinois, nord ou sud-américains. Cette nouvelle vague d'émigrants se superposant d'ailleurs à celles de Portugais, Espagnols, Grecs, Russes ou Français – entre 2011 et de 2012, le contingent des jeunes Grecs et Espagnols rejoignant l'Allemagne a augmenté respectivement de 73 et 50% – déjà venus tenter leur chance dans les filiales de grands groupes ou des start-up de la région de Munich, Brême, Düsseldorf ou Francfort.
Déjà, sur le million de migrants s'installant en Allemagne en 2012, 130.000 d'entre eux étaient des Européens du Sud dotés de solides diplômes.
Un solde migratoire de 500.000 âmes en 2014
Tout indique que, sur ce terrain où personne ne les attendait, les Allemands pourraient nous surprendre. De l'ordre de 200.000 immigrés en 2006, le solde migratoire allemand est passé à 280.000 âmes en 2012. Il est anticipé à 500.000 pour 2014. Dans l'intervalle, des Länder comme la Bavière et le Bade-Wurtemberg sont devenus de véritables pompes aspirantes sélectives pour médecins, ingénieurs ou chercheurs étrangers.
Fin 2011, 6,93 millions d'étrangers vivaient en Allemagne, soit 177.275 de plus qu'un an plus tôt (+2,6%). Il s'agit, selon l'Office fédéral allemand des statistiques, de la "plus forte progression depuis 15 ans".
Autant de sources vives qui, participant à la modernisation de l'appareil productif allemand, tout en faisant des bébés et en payant des impôts et des charges sociales qui, bientôt, contribueront au rétablissement des comptes du système de protection sociale.
Encore simples ruisseaux, ces mouvements démographiques sont-ils appelés à devenir grandes rivières ?
De nouvelles doctrines politiques
Au niveau politique, des doctrines iconoclastes font leur apparition. Celle, par exemple, de l'ancien chancelier Schroeder qui, dans un Agenda 2030, imagine de pallier cette dépression nataliste avec des mesures telles que le glissement du recul de l'âge de la retraite de seniors inoxydables au-delà de 70 ans, la conquête de nouveaux gains de productivité grâce à la robotisation, mais surtout l'adoption de force mesures d'incitation natalistes à la française.
Angela Merkel s'en rapproche avec la toute récente annonce de mesures "conte de fées" – hausse des allocations familiales et revalorisation des retraites des mères de familles – qui coupent l'herbe sous les pieds de son opposition sociale-démocrate. Non sans approuver concomitamment, au niveau européen, un plan de formation professionnelle qui, visant les jeunes sans qualification, sera surtout taillé, sur mesure, pour les nouveaux émigrants qui affluent en Allemagne.
Reste la vieille panique xénophobe...
Longtemps taboue, la question des conséquences "ethno-biologiques" des afflux migratoires s'est enflammée depuis 2010 avec la diffusion du brûlot xénophobes du banquier social-démocrate Thilo Sarrazin. Le succès de "L'Allemagne court à sa perte" – best-seller absolu de l'après-guerre vendu à un million et demi d'exemplaires en moins d'un an – est sans précédent. Et il atteste, sans conteste, l'adhésion d'une écrasante majorité d'Allemands à l'idée que l'immigration, incontrôlée ou non, reste, sinon une Rassenschande – "profanation de la race" –, du moins un handicap.
Sûrement lu dans du marc de café, le pronostic de Sarrazin est sans nuance : en 2110, l'Allemagne aura vu sa population, aujourd'hui riche de 75 millions d'âmes, se réduire à 25 millions d'habitants. Qui plus est dans un contexte où la proportion de migrants serait passée de 6 à 69%. D'évidence, il s'est abandonné au vertige de ce qui reste une vieille panique des intelligences européennes. Celle que provoque la perspective que bientôt, telles les civilisations gréco-latines d'antan, l'Allemagne se dissolve dans un nouveau cycle d'oliganthropie, comprendre une décroissance démographique si extrême qu'elle en menacerait le peuple allemand d'extinction.
Ce drôle de descendant de Sarrazin oublie bien entendu de se souvenir que tout apport extérieur n'est jamais intrinsèquement nuisible. Le destin d'un célèbre Ostrogoth en témoigne. Tel celui de Théodoric qui, né vers 455 sur la route de l'ambre dans une ville de Basse-Autriche, puis élevé comme un Romain à la fonction de consul dans les fastes de Constantinople, fondera, en 493 et au fil du glaive, son propre royaume sur les ruines de l'Empire romain d'Occident. Avisé, tolérant, cet Aryen ne saura-il pas, en multipliant les alliances matrimoniales opportunistes, faire cohabiter des ethnies jusqu'alors ennemies ? Ce nourrisson des forêts personnifie en tout cas, dans l'inconscient collectif germanique, autant que dans le regard des gentries savantes européennes, l'antique prototype du "barbare raffiné" que reste un Allemand bon teint.
28/8/2013, Hélène Decommer
Source : Le Nouvel Observateur