Au lieu de mener campagne contre les étrangers, la CDU d'Angela Merkel plaide pour une "culture d'accueil". Un changement de ton non dépourvu de visées électoralistes.
Bas du formulaire
Au début du mois d'août, les révélations [du magazine Der Spiegel] selon lesquelles le chancelier Kohl [1982-1998] avait envisagé en 1982 de renvoyer chez eux la moitié des Turcs d'Allemagne ont suscité la stupeur dans l'opinion publique. Jusqu'à ce qu'on se souvienne que de telles idées étaient à l'époque dans l'air du temps et représentaient un thème de campagne très payant pour les chrétiens-démocrates (CDU-CSU) [contribuant à l'arrivée d'Helmut Kohl lui-même au pouvoir].
Pendant plusieurs décennies, les conservateurs savaient parfaitement qu'attiser les ressentiments contre les immigrés, les demandeurs d'asile ou les musulmans permettait de mobiliser l'aile la plus conservatrice du parti et de l'attirer vers les urnes. Certes, les chrétiens-démocrates se sont constamment défendus de vouloir faire campagne contre les étrangers. Reste que la xénophobie a toujours trouvé le moyen d'être de la partie : que ce soit par l'expulsion illégale – et soigneusement mise en scène – d'un délinquant multirécidiviste d'origine turque, par le lancement d'une pétition contre la double nationalité ou par une habile resucée de La barque est pleine*. La plupart du temps, les sociaux-démocrates (SPD) ne se sont d'ailleurs pas privés de rejoindre le chœur des conservateurs, sachant que ce refrain n'était pas pour déplaire à leur base.
Tensions à Berlin
Cette année, les choses semblent pourtant différentes. Les immigrés sont tout à coup les bienvenus en Allemagne, surtout lorsqu'ils arrivent bardés de diplômes. Même les chrétiens-démocrates reconnaissent aujourd'hui que les musulmans contribuent à la diversité culturelle et religieuse du pays ainsi qu'à sa prospérité. Les demandeurs d'asile ne sont plus tenus pour suspects depuis que tant de civils syriens, d'alliés afghans des Occidentaux ou de chrétiens d'Irak viennent chercher refuge en Allemagne. Sans parler du nouveau pape – autorité spirituelle reconnue par de nombreux électeurs catholiques allemands –, qui, par sa visite à Lampedusa, a dénoncé de manière spectaculaire l'indifférence de l'Europe face au drame quotidien des réfugiés en Méditerranée.
Ce changement de ton est également sensible dans la campagne. Dans son programme, la CDU-CSU prône une "culture d'accueil" et l'ouverture de centres d'accueil dans les mairies. Elle célèbre l'Allemagne comme un "grand pays d'intégration". Les vieux discours xénophobes ont disparu des tavernes, même si la crise n'attire pas que des ingénieurs grecs et espagnols dans le pays, mais aussi une main-d'œuvre sans qualification de Bulgarie et de Roumanie et un nombre de demandeurs d'asile en nette augmentation.
La vie des migrants en Allemagne n'a pourtant pas radicalement changé. L'actualité récente dans le quartier de Berlin-Hellersdorf [dans l'est de la capitale] – où l'hébergement de demandeurs d'asile dans une ancienne école a déclenché une polémique il y a plusieurs semaines – témoigne des difficultés à mettre en place cette "culture d'accueil". Leur arrivée dans les lieux a été mal préparée, les riverains ont été prévenus trop tard et personne ne s'est soucié de leurs inquiétudes. Les autorités n'ont tiré aucune leçon des drames des années 1990 [à Hoyerswerda, Solingen, Mölln, etc., où des étrangers ont péri sous le coup de violences xénophobes].
Diplômés et électeurs
Les dirigeants de la CDU et du SPD – les uns comme les autres – regardent, impuissants, les riverains se transformer en porte-voix de groupes xénophobes ruinant l'image cosmopolite de Berlin. La "honte nazie" (comme l'écrit le tabloïd Bild) ne se limite toutefois pas aux cités d'Hellersdorf : dans le quartier huppé de Reinickendorf, les habitants n'hésitent pas à mandater leurs avocats pour bannir les enfants des demandeurs d'asile de leurs bacs à sable.
Les politiques hésitent encore à en faire un thème de campagne et à muscler leur discours comme la droite populiste d'hier. Mais les vieux réflexes sont toujours là. Par exemple lorsque le ministre de l'Intérieur, Hans-Peter Friedrich (CSU), se dit "alarmé" face à l'afflux croissant de demandeurs d'asile.
Un retour à la rhétorique xénophobe des années 1980 et 1990 est néanmoins peu probable. D'une part, les politiques savent que ces idées ne sont pas compatibles avec une époque où la concurrence pour la main-d'œuvre qualifiée se joue à l'échelle internationale ; d'autre part, les partis ciblent davantage les électeurs d'origine étrangère. Ces derniers représentent 5,8 millions de personnes, soit 10 % de l'électorat, ce qui en fait un groupe déterminant. Les partis n'ont pas manqué d'en tenir compte. Quatre pour cent de tous les candidats au Bundestag [pour les élections législatives du 22 septembre] sont issus de l'immigration. Seule la CSU fait exception.
La xénophobie ne paie plus dans les campagnes électorales, du moins pour les partis établis. La CDU, la CSU et le SPD n'ont plus qu'à faire les yeux doux aux migrants et à laisser à la droite radicale et populiste ce vieux champ de manœuvre politique.
3 Septembre 201, Christoph Seils
Source : courrierinternational