lundi 25 novembre 2024 00:12

Arabie Saoudite : violences contre un travailleur immigré

La vidéo d'un nouveau cas de violences commises par un Saoudien sur un travailleur immigré a été publiée sur Internet. Les images ont été reprises par plusieurs chaînes de télévision arabophones ce week-end, si bien que les autorités chargées des droits de l'Homme dans le royaume se sont saisies du dossier. Mais nos Observateurs sont sceptiques...

La scène se découpe en deux parties. Dans un premier temps, un homme, d'origine asiatique mais dont il n'est pas possible d'identifier avec certitude la nationalité, reçoit à plusieurs reprises de violentes gifles, administrées par un autre homme qui n'est pas visible. Après avoir reçu une énième coup, à la taille, il se lève. C'est alors qu'il est tabassé à coups de poings et coups de pieds par son agresseur qui n'hésite pas non plus à le fouetter au visage avec le serre-tête qui sert à tenir sa ghoutrah, la coiffe traditionelle saoudienne [la rédaction des Observateurs a décidé de ne publier que des captures d'écran de ces images]. Le lieu, la date et les circonstances exactes de l'altercation ne sont pas connus.

"Quand l'immigré s'exprime en arabe, je pense reconnaître un accent bengalais" Mohammad Alsaeedi vit à Jeddah, sur la côte ouest de l'Arabie saoudite.

Je ne peux pas confirmer à 100% la nationalité de la victime, mais quand il s'exprime en arabe, je pense reconnaître un accent bengalais. Sa chemise orange est l'uniforme que portent tous les nettoyeurs municipaux en Arabie saoudite, il est donc probablement employé par une ville à cet effet. L'homme saoudien est en colère car il l'accuse d'utiliser un téléphone portable pour appeler sa femme, et peut-être le soupçonne-t-il de flirter avec elle par téléphone ? Quand il lui demande comment il a obtenu le numéro de sa femme, l'immigré lui répond qu'il a 'trouvé un téléphone usagé dans une poubelle'.

Selon le site d'Al Arabiya, une chaîne de télévision qui appartient à un émir de la famille royale saoudienne, la vidéo a été visionnée par la Commission des droits de l'Homme d'Arabie saoudite, un organisme qui dépend du gouvernement. Son porte-parole Ibrahim Al Shadi a affirmé avoir reçu de nombreuses plaintes suite à cette vidéo, demandant que le Saoudien soit puni pour ses actes. Selon Al Shadi, il y a là "une violation flagrante des droits à la dignité et la sécurité de la victime" et ces actes "bafouent la loi islamique". La Commission a assuré qu'elle allait se pencher sur l'affaire.

Mais pour notre Observateur, Ahmed Sabri, activiste des droits de l'homme et travailleur social à Jeddah, la commission des droits de l'Homme n'est pas crédible, du fait qu'elle soit contrôlée par le gouvernement. Il met par ailleurs en cause les lois saoudiennes relatives au droit des immigrés, qui selon lui bafouent plusieurs de leurs libertés fondamentales.

"Cette vidéo illustre l'iniquité du système légal qui régit le droit des immigrés" Ahmed Sabri est un activiste qui suit les questions des droits de l'homme et travailleur social à Jeddah.

En Arabie saoudite, il y a deux organisations principales en charge des droits de l'Homme. La Société nationale des droits de l'homme [France 24 n'a pas été en mesure de contacter cet organisme], un organisme indépendant, qui a déjà dénoncé à plusieurs reprises les mauvais traitements infligés aux travailleurs immigrés, et la Commission des droits de l'Homme. Cette dernière est un organisme gouvernemental, qui vise davantage à promouvoir une image positive du pays et à présenter le royaume saoudien comme un État qui respecte les droits de l'Homme. [Il y a une semaine, la commission a expliqué devant l'ONU que l'Arabie saoudite avait fait de "réels progrès" en matières de droits de l'Homme ]. Dans un tel contexte, il est difficile de croire qu'une enquête objective sera menée par cet organisme.

Cette vidéo rappelle une fois encore l'iniquité du système légal qui régit le droit des immigrés en Arabie saoudite. Pour travailler dans le pays un travailleur étranger doit être 'sponsorisé' par un homme saoudien, qui est en quelque sorte son tuteur, que ce soit pour des travaux domestiques ou tout type d'emploi dans le pays. Les migrants doivent obtenir l'autorisation de leur sponsor pour se déplacer, ils n'ont donc pas de réelle liberté de circuler. Du coup, très souvent, les sponsors confisquent le passeport de ces migrants, ce qui leur donne toute possibilité de leur faire du chantage.

Rien ne dit que le Saoudien est le sponsor du travailleur qu'il maltraite, mais ce système de sponsoring est la porte ouverte à de telles violences. Un sentiment d'impunité règne car l'immigré n'ira certainement pas porter plainte. Et s'il le faisait, il n'aurait pas les armes pour se défendre : en général, ils parlent mal l'arabe et le système judiciaire ne fournit pas assez d'avocats en mesure de communiquer avec eux. Quant au fait de filmer cette scène, c'est peut-être aussi un autre moyen de pression sur les travailleurs immigrés, pour montrer ce qu'ils risquent en cas de confrontation.

29/10/2013

Source : France 24

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