Wembley, en banlieue de Londres, est connu au Royaume-Uni pour son stade et sa grande mixité ethnique. Dans ce quartier majoritairement indien, le ministère de l'intérieur britannique a fait circuler des camionnettes intimant les illégaux à « rentrer chez eux ou à être arrêtés ».
Les soirs de match de l'équipe nationale anglaise de football, le stade mythique de Wembley brille de mille feux. Mais c'est pendant la journée que ce quartier de la banlieue nord-ouest de Londres apparaît le plus à l'image de l'équipe nationale : les minorités ethniques y sont largement majoritaires. Selon le recensement national de 2011, les Britanniques blancs représentent 18 % de la population de la municipalité de Brent, à laquelle est rattaché Wembley.
« Illégalement au Royaume-Uni ? Rentrez chez vous ou vous serez arrêtés »
Cette statistique explique sans doute pourquoi le ministère de l'intérieur du gouvernement du premier ministre conservateur David Cameron a décidé de faire circuler dans ses rues, comme dans celles d'autres quartiers de la banlieue londonienne, des camionnettes ornées d'une pancarte détonante : « Illégalement au Royaume-Uni ? Rentrez chez vous ou vous serez arrêtés ».
Un encadré précise que « 106 arrestations ont eu lieu la semaine dernière dans votre quartier », tandis qu'une autre rassure les possibles contrevenants : « Nous pouvons vous aider à retourner chez vous volontairement sans craindre d'arrestation ou de détention. »
Une campagne qui fait polémique
La campagne a été entamée le 22 juillet et elle a été arrêtée début août en raison du dépôt d'un nombre élevé de plaintes à son encontre et du déclenchement d'une forte polémique. Le leader du conseil municipal de Brent, Muhammed Butt, lui-même d'origine pakistanaise, n'a pas été le dernier à se faire entendre : « Placer ces affiches dans les quartiers les plus divers du Royaume-Uni est inflammatoire et diviseur », s'était-il emporté dès leur apparition. « C'est honteux et franchement malvenu dans notre quartier divers et uni. »
Assis à son bureau, Jagdish Patel peine à lever le regard de sa paperasse. « Cette campagne ne sert absolument à rien, c'est du pur populisme car jamais les gens n'iront se dénoncer. Ils devront être arrêtés pour quitter le pays. » Depuis cette pièce sombre, il gère l'Association indienne de Brent, la principale minorité du quartier, où il conseille principalement ses concitoyens sur les questions liées à l'immigration et à l'administration locale.
Des illégaux, il en a croisé, « surtout des étudiants restés après la fin de leur visa d'étude. Sauf que leur maintien ici est rendu impossible : les employeurs en infraction se voient imposer une amende de 10 000 livres sterling (11 800 €) par travailleur illégal, donc ils demandent aujourd'hui tous à voir le visa des postulants ».
Un durcissement des règles depuis l'arrivée des conservateurs
Cet Indien de 62 ans a vu se durcir les règles d'immigration depuis l'arrivée des conservateurs au pouvoir en mai 2010. « Avec votre nationalité européenne, jusqu'au mois de juillet 2012, vous n'aviez qu'à être marié pour que votre épouse indienne puisse vous rejoindre ici, sourit-il. Depuis, vous devez justifier d'un salaire annuel de 18 600 livres (21 825 €) pour que votre demande soit acceptée, et à partir du 28 octobre 2013 votre épouse devra passer des tests officiels de langue anglaise d'un très haut niveau. »
La semaine dernière, le responsable de l'immigration du parti travailliste a à son tour pris les étrangers comme boucs émissaires du taux de chômage actuel (7,8 %). Avant de revenir sur ses déclarations, sous la pression des entreprises concernées, il avait accusé la chaîne de magasins de vêtements Next et celle de grande distribution Tesco d'avoir favorisé l'embauche de travailleurs aux exigences salariales peu élevées venus de l'est de l'Union européenne aux dépens de Britanniques.
Une force économique et un modèle de société
Face à ces irruptions populistes, Jagdish Patel évoque ses trois enfants. Ses deux filles sont l'une comptable et l'autre employée dans l'industrie pharmaceutique, tandis que son cadet travaille comme opticien. « Lorsque l'on dit à mon fils qu'il est indien, il répond que non, il est anglais, et il en est fier ! Quant à ma seconde fille, elle paie 40 % d'impôts sur son salaire annuel de 82 000 livres (96 000 €), elle ne touche pas d'aide sociale. Donc, je peux vous dire qu'elle a contribué à l'économie britannique bien plus qu'elle n'en a profité ! »
Si la campagne du ministère de l'intérieur concerne explicitement les illégaux, de nombreux Anglais d'origine étrangère et immigrés travaillant au Royaume-Uni en toute légalité se sentent implicitement visés. Un ton nouveau dans un pays qui avait autrefois largement misé sur l'immigration pour en faire une force économique et un modèle de société.
20/8/13, Tristan de Bourbon
Source : La Croix