Le journaliste et réalisateur Mohamed Nabil aborde, dans son nouveau film «Joyaux de la tristesse», la problématique des mères célibataires au Maroc.
Le film a été projeté, lundi dernier à Düsseldorf, dans le cadre des activités célébrant le cinquantenaire de l'immigration des Marocains en Allemagne (1963-2013).
Ce Maroco-Allemand, résidant à Berlin (Allemagne), ne cesse d'écrire et de braquer ses caméras sur les sujets «tabous» concernant la gent féminine. C'est une question qui le préoccupe et le tourmente depuis son cursus universitaire dans la branche de la philosophie et des sciences sociales où il a consacré son mémoire à «La sexualité dans la société marocaine». Plus tard, son métier de journaliste l'a aidé à écrire des nouvelles traitant des thématiques sur les femmes.
«La question féminine reste primordiale pour moi. Je trouve que la femme marocaine est marginalisée dans sa propre société. Puis, je pense que c'est plus créatif de travailler sur un sujet féminin, car c'est lié à la différence sexuelle et au monde émotionnel des femmes. Je me trouve dans des marges plus vastes et libres. Même au niveau du montage, la construction de l'image demeure plus passionnante». Pour Mohamed Nabil, le traitement de ce genre de sujets peut aider à mettre de la lumière sur l'avenir de la société marocaine qui reste toujours patriarcale. «Le sujet sur des femmes me donne du souffle pour faire plus de films, car chaque film est un début d'un autre film nouveau». Celui des «Joyaux de la tristesse» aborde la problématique des mères célibataires. Un film dont le tournage n'a pas été des plus simples, vu la sensibilité du sujet dans un pays musulman. Sa première difficulté a résidé dans la recherche de femmes qui pouvaient témoigner devant une caméra. Une tâche qui n'était pas aussi évidente.
«J'ai eu beaucoup de problèmes dans la recherche des protagonistes. Mais, mon métier de journaliste m'a aidé à trouver les bons personnes et contacts pour faire un casting réussi. Comme vous le savez, le sujet est très sensible et la majorité des femmes ne veulent pas se montrer devant la caméra pour raconter des histoires intimes. Une mère célibataire est déjà une personne rejetée, mal vue et liée à ce qu'on appelle au Maroc "Hchouma". J'ai pu dépasser toutes ces difficultés pour faire un film plus expressif et créatif».
C'est toute une aventure que le réalisateur a vécue avec deux témoignages aussi frappants l'un que l'autre, dévoilant les souffrances et les rejets que vivent les deux mères célibataires de «Joyaux de la tristesse». Ce phénomène ne date pas d'aujourd'hui. Depuis des années, de plus en plus de femmes au Maroc donnent naissance à des enfants en dehors du mariage. Le documentaire de Mohamed Nabil l'explore en livrant le quotidien de deux mères célibataires qui sont ostracisées par la famille, la société et l'État et subissent les pires des discriminations. Outre ces déclarations poignantes, plusieurs experts et intervenants appartenant aux ONG marocaines, aux associations des droits de l'Homme et au gouvernement marocain donnent leurs points de vue sur ce problème épineux et affirment la complexité de ce phénomène dans toutes ses dimensions.
«Ce genre de sujet permet de constater à quel point les sociétés arrivent à vivre la contradiction entre le fait que la femme représente la moitié de la société et celui de sa marginalisation. J'espère que ce film pourra ouvrir un débat social au Maroc et à l'extérieur du pays sur la situation de la femme marocaine, entre autres celle de la mère célibataire. Car l'art reste toujours un moyen pour dénoncer des choses et remédier à d'autres», souligne Mohamed Nabil.
Synopsis
«Joyaux de la tristesse» est un film documentaire qui raconte la vie de deux mères célibataires (Nadia et Nezha), leurs souffrances et surtout leurs mésaventures au sein d'une société qui les rejette. Le premier cas est celui d'une jeune employée aux sanitaires. Elle a un passé mouvementé de petite bonne violentée et se retrouve seule avec un enfant à charge. Le second cas est le vécu d'une prostituée, mère célibataire de trois enfants dont elle laisse la charge à une voisine du quartier.
Subissant les pires des discriminations sociales, ces mères célibataires constituent la honte de leurs proches. Leur vie quotidienne est déterminée par la détresse et l'inquiétude de survie.
Repères
Mohamed Nabil poursuit ses études universitaires à Fès.
Il a enseigné la philosophie et les sciences sociales au Maroc.
Il quitte son pays d'origine et s'installe au Canada.
Il a travaillé au Canada et en Russie en tant que journaliste.
Il s'installe à Berlin et réalise deux films documentaires.
18 Juin 2013, Ouafaâ Bennani
Source : LE MATIN