La dérèglementation du secteur des services dans l'Union européenne et la mondialisation mettent en concurrence les saisonniers marocains avec ceux venus d'Amérique Latine et d'Europe de l'Est, dans les Bouches du Rhône. Le nombre de Marocains à travailler dans le département se maintient difficilement après avoir beaucoup baissé.
Les saisonniers Sud-américains supplantent Marocains et Tunisiens dans le sud de la France / Photo Terraeco.net
Les saisonniers Marocains accusent le coup. Dans les Bouches du Rhône, dans le sud de la France, après plus de 30 ans de travail dans les exploitations agricoles du département, ils se voient préférer les ouvriers venus d'Amérique Latine et d'Europe de l'Est. Les Equatoriens, les Péruviens et les Polonais ne sont pas meilleurs qu'eux, mais ils sont employés comme des intérimaires : embauchés et renvoyés en fonction des besoins, en un mot, corvéables.
Des agences de travail temporaire ou entreprises d'intérim intra et extra-communautaires se sont créées dans les années 2000 et leurs employés font concurrence aux saisonniers historiquement employés dans les exploitations du sud de la France, notamment. « Les législations de l'Union européenne et de la France sur les prestations de services internationales coexistent et les entreprises de travail temporaires jouent des différentiels de droits », nous explique Béatrice Mésini, chargée de recherche au CNRS spécialiste des migrations et mobilités circulaires de travail dans l'agriculture en Méditerranée.
Des agences d'intérim internationales
« Depuis la loi du 18 janvier 2005, l'Agence nationale de l'accueil des étrangers qui remplace l'Office des Migrations internationales (OMI) ne dispose plus du monopole des opérations de recrutement en France, détaille-t-elle, dans un article intitulé « Enjeux des mobilités circulaires de main‑d'œuvre : l'exemple des saisonniers étrangers dans l'agriculture méditerranéenne » et paru en 2009 dans la revue Méditerrannée. [...] Pour la première fois en 2004, la campagne d'introduction par l'OMI enregistrait un nombre de saisonniers polonais introduits (6 640) quasi équivalent à celui des travailleurs marocains (6 909). »
Un rapport du ministère français du Travail enregistre, en 2008, 851 déclarations d'intervention d'entreprises étrangères prestataires de services dans le secteur agricole, contre 9 fois moins à peine 4 ans auparavant. « En pleine saison agricole, les travailleurs employés par des société de travail temporaires représentent près d'un tiers de la main d'œuvre dans les Bouches du Rhône, estime Béatrice Mésini. Ils supplantent les Marocains et les Tunisiens. »
6 euros de l'heure en Espagne, 7,5 en France
Terra Fecundis est l'une des principales sociétés de travail temporaire à intervenir dans les Bouches du Rhône. Espagnole, elle emploie des migrants venus d'Amérique Latine. « La crise en Espagne a emmené plus d'Espagnols au chômage à rejoindre le secteur agricole privant de travail une partie de la main d'œuvre étrangère qui y était habituellement employée. Elle est devenue plus vulnérable », nous explique la chercheuse. Les immigrés acceptent donc plus facilement d'être intérimaires en France, notamment dans les exploitations des Bouches du Rhône. « Les ouvriers agricoles sud américains employés par les sociétés espagnoles ont également intérêt à travailler en France. Ils gagnent 5,5 à 6 euros de l'heure en Espagne contre 7,5 en France », ajoute Béatrice Mésini.
Pour les exploitants agricoles du département, le système est avantageux bien qu'ils paient a priori plus cher ces travailleurs que les Marocains en contrat OMI. En employant des saisonniers en interim, les exploitants se débarrassent de toutes les procédures administratives longues et coûteuses, « surtout ils peuvent embaucher très rapidement en fonction de leurs besoins, et renvoyer tout aussi vite un ouvrier dès qu'ils n'en veulent plus. Avec les contrats OMI et OFII, qui sont plutôt ceux des Marocains, l'introduction du saisonnier stipule la durée de son contrat et son salaire », détaille la chercheuse.
Main d'oeuvre corvéable
La main d'œuvre venue d'Europe de l'est et d'Amérique Latine est aussi plus facilement corvéable, elle ne maîtrise pas les droits offerts par la France, contrairement aux Marocains qui ont 30 ans d'expérience derrière eux et connaissent la langue. « Les ouvriers équatoriens sont difficiles à approcher. Ils ont peur et ne parlent pas français. Ils craignent de perdre leur boulot. Les exploitants les font souvent travailler séparément des autres ouvriers agricoles maghrébins. », explique Louis Rouve, syndicaliste CFDT spécialiste des droits de immigrés dans les Bouches du Rhône.
Les Marocains qui ont passé leur vie à travailler dans ces mêmes exploitations ont peu à peu reconquis leurs droits au point de devenir encombrant pour les exploitants qui les embauchaient. En 2011, les deux sociétés agricoles « La Marie » et « Le Palmier » ont été condamnées par la Cour d'appel d'Aix en Provence à verser plus d'un million d'euros à 24 salariés, dont des Marocains, au titre du paiement des rappels de salaires, des heures supplémentaires, des congés payés, du travail les jours fériés, du travail dissimulé, du licenciement abusif et du paiement des indemnités de préavis.
Victoire légale, défaite économique
« Le 20 juillet 2005, quelque 150 ouvriers agricoles -70 permanents et 35 saisonniers marocains OMI- du domaine de Collongue-Bayard, 250 hectares de pêches et nectarines sur la commune de Saint-Martin-de-Crau, en grève pour des questions de salaire et de logement, ont obtenu immédiatement satisfaction : hausse de 5% des salaires et construction d'un réfectoire en dur et de sanitaires pour les 34 permanents. Selon le syndicat CGT, seuls 30 saisonniers polonais OMI travaillant sur cette exploitation n'ont pas cessé le travail », souligne Béatrice Mésini.
Moins flexible que les employés des sociétés d'intérim et meilleurs connaisseurs de leurs droits, les Marocains ont « enregistré une victoire légale, mais une défaite économique », selon elle. « Certains Marocains, aujourd'hui, ont obtenu des cartes de séjour et essaient de trouver un autre emploi, dans le bâtiment, par exemple, mais ce n'est pas évident non plus. Bon nombre des anciens saisonniers marocains ne peut plus revenir en France faute de contrat et restent vivre au Maroc », raconte Louis Rouve.
Les Marocains chefs d'équipe
« Aujourd'hui, des Marocains d'Espagne sont également employés par Terra Fecundis. Grâce à leur connaissance du français, ils gagnent plus facilement des postes intermédiaires. En France, certains anciens travailleurs temporaires se fidélisent sur une seule exploitation et deviennent des encadrants », ajoute Béatrice Mésini. Ils ont l'inconvénient mais aussi l'avantage de l'expérience sur les nouveaux venus : les exploitants savent qu'ils peuvent se fier à eux.
Les relations entre les groupes de nationalités différentes ne sont pas égales. « La dureté des conditions de vies peuvent les amener à se serrer les coudes, mais ils arrivent aussi que les Marocains parvenus aux postes d'intermédiaires abusent de leur position dominante. Je me souviens de l'histoire de trois femmes équatoriennes mises à pied parce qu'elles refusaient les avances du chef d'équipe marocain », reconnaît la chercheuse.
Face à la concurrence de la main d'œuvre emmenée par les sociétés d'intérim européennes, les Marocains ont donc tendance à être évincés du système de travail temporaire qu'ils gagnent des postes salariés fixes ou se retrouvent obligés de rester au Maroc.
24.08.2013, Julie Chaudier
Source : Yabiladi