Bruxelles attaque en justice toutes les formes de discrimination. Une défense mal comprise par les opinions européennes.
La Commission européenne aurait voulu tendre le bâton pour se faire battre, elle n'aurait pu mieux faire. En annonçant la semaine dernière son intention de poursuivre la Grande-Bretagne devant la Cour de justice européenne pour la manière trop restrictive dont elle applique le droit de résidence aux Européens qui s'installent outre-Manche, elle offre aux eurosceptiques britanniques un argument de poids pour leur plaidoyer en faveur du rapatriement à Londres de compétences accordées à Bruxelles.
Ou carrément pour sortir de l'Union comme le prône le nouveau parti ultraconservateur de Nigel Farrage (UKIP).
Une semaine après une décision « bureaucratique » malheureuse sur l'interdiction des flacons d'huile d'olive dans les restaurants, décision abandonnée devant les moqueries de la presse britannique, la Commission européenne semble encore une fois faire preuve d'un manque total de vision politique au profit d'un juridisme, certes légitime mais borné. Car, dans ce dossier, il est question de rien de moins que de l'explosif cocktail entre souveraineté, immigration et allocations sociales, qui en ce moment fait le lit de la montée du populisme dans tous les pays européens. Bruxelles a ainsi demandé à la Grande-Bretagne, conformément à la règle de la libre circulation des personnes et de travail à l'intérieur de l'Union européenne, de renoncer à sa conception du « droit de résidence », dont le caractère par trop restrictif, lui permet de refuser le versement de certaines prestations sociales. 28.400 personnes se sont vu refuser des aides entre 2009 et 2011, explique la Commission européenne, soit deux demandeurs sur trois.
Lutter contre les abus
Le gouvernement britannique estime de son côté que sa législation sur la résidence est parfaitement conforme avec le droit européen et rappelle que le Royaume-Uni est le pays qui accueille en Europe le plus d'immigrants, 566.000 en 2011 contre 489.000 en Allemagne et 267.400 en France. Mais avec la crise, nombre de Britanniques font leur miel du débat sur le tourisme social. Comme en Allemagne ou dans d'autres pays, où des maires se plaignent de ne plus pouvoir gérer les arrivées de Roms. Vendredi, les ministres de l'Intérieur, réunis à Luxembourg, pourront décider s'il faut ou non trouver de nouveaux outils pour lutter contre les abus à la législation sociale. Néanmoins, la Commission européenne, qui observe avec inquiétude la montée de mouvements antieuropéen et anti-immigration, ne veut rien entendre. Et rétorque coup sur coup et dent pour dent à toutes les dérives. Qu'il s'agisse de la commissaire aux Affaires intérieures, Cecilia Malmström, de la commissaire à la Justice, Viviane Reding ou du commissaire aux Affaires sociales, Lazlo Andor, chacun se vit comme un rempart contre les montées de l'intolérance. La première a ainsi obtenu que la réforme du code Schengen ne permette une fermeture temporaire des frontières en cas d'événements extraordinaires qu'après l'avis de la Commission européenne. Elle compte aussi sur une réforme du droit d'asile qui oblige chaque Etat à prendre une part plus équitable de l'asile en Europe. La deuxième poursuit toute dérive et surveille avec attention les tentatives de la ville d'Anvers dirigée par le nationaliste Bart de Wever, pour faire payer plus cher certaines prestations aux étrangers qu'aux Flamands. Le dernier enfin ne cesse de plaider pour un marché européen du travail, et donc pour une mobilité accrue. A l'heure où les jeunes de nombreux Etats du Sud sont poussés à tenter leur chance ailleurs, il veut plus que jamais lutter contre les préjugés et rappelle en toute occasion que les immigrés versent en Grande-Bretagne bien plus de prestations sociales qu'ils n'en reçoivent.
Le revers de cette lutte, parfaitement légitime au regard des traités et de la charte européenne des droits de l'homme, est qu'elle alimente encore davantage l'eurosceptcisme. « Nous voulons défendre la libre circulation des citoyens mais il faut aussi donner le sentiment que l'on lutte contre les abus sociaux, explique un diplomate britannique, or, la Commission européenne comme le Parlement européen ne veulent pas en parler, un silence qui pourrait avoir un effet boomerang. »
04/06/2013, Anne Bauer
Source : Les Echos