dimanche 24 novembre 2024 20:59

Ces français et espagnols qui fuient le chômage pour le Maroc

Au Maroc et en Tunisie, des retraités français profitent déjà des avantages qui leur sont offerts par la législation. Mais un nouveau type de migrants français et espagnols voit le jour. Des gens bien formés qui fuient le chômage et acceptent les standards locaux. Tendance !

L'Histoire fait preuve parfois d'une étrange ironie. Durant plusieurs décennies, les flux d'immigration maghrébine à destination de l'Europe, notamment de France, ont été, ils le restent encore, au centre de l'actualité et des discours politiques. La donne n'a pas changé et la montée en puissance des partis d'extrême-droite montre que cette question migratoire reste au centre des débats. Pourtant, il est une autre tendance dont on commence à parler. Il s'agit de l'installation permanente, du moins pour une longue durée, de ressortissants français au Maghreb et plus particulièrement au Maroc. Et cela a commencé par les retraités qui quittent l'Hexagone à la recherche de terres d'accueil plus hospitalières tant sur le plan climatique que financier.

On sait que le Royaume chérifien accueille depuis quelques années plusieurs milliers de retraités français installés de manière légale. Selon les dernières estimations ils seraient près de 25.000, un chiffre en constante augmentation qui fait du Maroc la première destination mondiale pour les retraités français qui s'expatrient. Et, contrairement à l'Espagne et au Portugal, respectivement deuxième et troisième, cette « immigration vermeille » ne relève pas toujours d'un lien identitaire. Si, nombre de ressortissants français d'origine marocaine rentrent au Royaume pour y passer leur retraite, ils sont imités par des compatriotes qui, au départ, n'ont aucun lien avec ce pays ou même le Maghreb.

Maroc, Tunisie : des paradis fiscaux pour retraités français

Il faut dire que l'avantage économique est patent. En s'installant au Maroc, le retraité français bénéficie de l'application d'une convention fiscale bilatérale qui fait qu'il n'est plus assujetti à l'impôt en France. Et la loi marocaine lui permet de bénéficier d'un abattement de 40% sur son revenu à déclarer et, plus important encore, d'une déduction de 80% sur l'impôt à payer. A cela s'ajoute un coût de la vie inférieur de 30 à 40% à celui de la France, ce qui est loin d'être négligeable. Quatrième des destinations préférées des retraités français - ils y sont au nombre de 12.000 - la Tunisie propose elle aussi un package fiscal alléchant avec un abattement de 80% sur le montant déclaré auquel s'ajoute un coût de la vie inférieur de 50% à celui de l'Hexagone.

Si l'avantage pour les concernés est patent, qu'en est-il pour le Maroc ou la Tunisie ? Les études quant à l'impact économique d'une telle présence sont rares. Pour plusieurs économistes marocains, le gain ne se chiffrerait qu'à quelques dizaines de millions d'euros ne serait-ce qu'en raison des avantages fiscaux consentis qui génèrent un substantiel manque à gagner pour le Trésor public. De même, plusieurs voix se font entendre au Maroc, y compris celle de MRE, les ressortissants marocains résidant à l'étranger, pour mettre en garde les autorités contre les effets à long terme de cette présence sur le marché immobilier, les résidents français étant jugés responsables, entre autre, de la hausse des loyers et du prix du mètre carré. Une hausse qui pénalise les ménages marocains mais aussi les émigrés qui cherchent à acquérir un bien immobilier dans leur pays d'origine. « Le véritable avantage est d'ordre politique », juge un ancien haut-responsable marocain. Pour lui, « la présence de cette communauté française est un atout entre les mains du Royaume car cela oblige la France à être attentive à ce qui s'y passe ne serait-ce que parce que ces retraités peuvent relayer les doléances marocaines à destination des autorités françaises ».

D'autres observateurs marocains sont plus dubitatifs. Sans nier l'impact économique direct (dépenses de consommation courante, création d'emplois, développement de l'assistance de ces personnes âgées,...) ils s'inquiètent de la confrontation entre une partie des Marocains et une communauté, certes moins aisée que les habituels expatriés, mais dont le pouvoir d'achat reste de loin supérieur à celui de la majorité des Marocains. « Il y a quelques comportements néocoloniaux qui gâchent tout. Cela crée de la frustration », reconnaît de manière pudique un diplomate français.

Un appel d'air pour victimes de la crise

Mais il n'y a pas que les retraités français qui s'installent au Maroc ou, à un degré bien moindre en Tunisie. Depuis deux ou trois ans, les victimes de la crise économique en Europe tentent eux aussi l'aventure. Contrairement aux expatriés classiques employés par de grands groupes français ou franco-marocains, ces immigrés d'un nouveau genre ne bénéficient guère d'avantages. Leurs contrats de travail, quand ils en ont, relèvent du droit local, leur rémunération se fait en dirhams non convertibles et donc non transférables en France et ils sont obligés de cotiser eux-mêmes de manière directe s'ils souhaitent garder une protection sociale voire une mutuelle française. Selon les estimations, près de 10.000 travailleurs français évoluent actuellement au Maroc mais ce chiffre serait loin de la réalité puisque nombre de ces salariés sont ni plus ni moins que des « clandestins » entrés au Maroc avec un visa de tourisme de trois mois et dont l'emploi n'est pas déclaré. N'ayant pu obtenir de carte de résidence, ces personnes quittent le Royaume pour la journée, souvent en se rendant dans l'enclave espagnole de Ceuta, et reviennent au Maroc avec un compteur remis à zéro. Et cela ne concerne pas que les ressortissants français puisque l'on compterait près de 5.000 expatriés espagnols ayant eux aussi quitté leur pays durement frappé par la crise.

Architectes, journalistes, éditeurs, enseignants dans des grandes écoles, notamment de commerce, mais aussi ouvriers spécialisés, artisans, la panoplie des profils recensés par cette immigration d'un nouveau genre est très large et couvre de nombreux secteurs économiques. Bien entendu, on est encore loin des flux migratoires qui vont du sud vers le nord mais cette évolution est intéressante à plus d'un titre. Elle montre que les pays du Maghreb pourraient à terme bénéficier d'un afflux inattendu de compétences et d'énergies créatrices. Cela à condition, bien sûr, que ces pays modernisent leur législation quant à l'accueil des étrangers. Ainsi, la France et l'Espagne demandent discrètement au Maroc d'alléger les formalités que doivent accomplir leurs ressortissants pour s'installer dans le Royaume. De même, cette tendance migratoire démontre une certaine évolution des mentalités en Europe. Il fut un temps où l'expatriation n'y était appréhendée que sous l'angle de l'exigence du « package » (avantages, primes, salaires conséquents, retraite garantie,...). Aujourd'hui, les jeunes français comme leurs homologues espagnols, savent que les modèles sociaux de leurs pays ne seront plus les mêmes aujourd'hui qu'au moment de leur retraite. Et c'est ce qui les encourage à tenter l'aventure au Maghreb fusse au prix d'ambitions révisées à la baisse.

25 juin 2013, Akram Belkaïd

Source : maghrebemergent.com

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