dimanche 24 novembre 2024 20:38

Dubrovnik, nouvelle frontière de l'Union européenne

Neum, au bord de la mer Adriatique. L'eau a la même couleur turquoise qu'à Dubrovnik, la côte y est tout aussi agréable, la végétation méditerranéenne identique. Pourtant, bien que située à quelques kilomètres à peine au nord de l'ancienne ville-forte, elle n'est pas croate mais bosnienne. C'est même la seule de Bosnie-Herzégovine à avoir un accès à la côte.

Cette particularité remonte à l'année 1699. La République de Raguse (l'ancienne Dubrovnik) décide alors de se séparer de Neum, au profit de la Bosnie, sous occupation ottomane, pour se protéger de l'expansion de sa rivale, Venise : elle cherche à créer un cordon sanitaire autour d'elle.

Les frontières ainsi dessinées perdurèrent. Elles furent conservées à l'époque yougoslave, alors que la Croatie et la Bosnie n'étaient que deux républiques « sœurs » au sein d'une même fédération.

Un pays coupé en deux

Depuis, la Yougoslavie a disparu. La Bosnie et la Croatie sont devenues deux pays distincts, avec entre elles des frontières internationales coupant de facto la Croatie en deux, de part et d'autre de ce qu'on appelle le « corridor de Neum ».

Depuis la quasi-totalité du pays, pour rejoindre par la route l'enclave de Dubrovnik, il n'y a pas le choix : il faut quitter la Croatie, entrer en Bosnie, rouler sur une vingtaine de kilomètres, quitter la Bosnie, de nouveau entrer en Croatie.

Avec, à chaque fois, un arrêt obligatoire aux différents postes-frontières et un contrôle des papiers. En hiver, cela ne pose pas trop de problèmes ; l'été, au plus haut de la saison touristique, les files d'attente s'allongent le long de cette route qui mène aussi au Monténégro et en Albanie.

Les postes-frontières d'entrée et de sortis élargis

En prévision de l'intégration européenne et de contrôles plus rigoureux côté croate, les postes-frontières d'entrée et de sortie du corridor ont été élargis de deux à cinq lignes : deux pour les camions, deux pour les voitures, une pour les bus.

« Ce n'est pas assez ! regrette Mojca, une guide touristique qui traverse ces frontières au moins une fois par semaine. Surtout l'été, quand vous avez cinq bus devant vous ! »

Jusqu'à présent, précise-t-elle, les contrôles étaient parfois aléatoires, les policiers se contentant souvent de regarder la liste des passagers. « Je doute que ce soit encore le cas après notre entrée dans l'Union le 1er juillet », poursuit-elle, mi-inquiète, mi-fataliste.

Conséquences quotidiennes

L'absence de continuité territoriale a des conséquences quotidiennes pour les habitants du canton de « Dubrovnik-Neretva », qui s'étend de part et d'autre de Neum.

Ceux qui vivent au nord du corridor doivent le traverser pour rejoindre Dubrovnik, la ville principale du canton. Ceux qui vivent au sud doivent le franchir pour rejoindre notamment Zagreb, la capitale.

« Par la route, puisqu'il y a passage de frontières, vous ne pouvez pas emmener votre enfant à Zagreb s'il n'a pas encore de carte d'identité, s'agace Djana. Et ce n'est qu'un exemple parmi d'autres ! »

Split, de l'autre côté du corridor

Djana et sa famille se rendent régulièrement à Split, de l'autre côté du corridor. La vie y étant un peu moins chère qu'à Dubrovnik, ils en profitent pour faire quelques achats.

« Sauf qu'au retour, il faut passer par les douanes, patienter, déclarer le tout, obtenir le tampon », détaille-t-elle. « Quand on y pense c'est vraiment absurde, ajoute son mari : il n'y a aucun import, aucun export.

On se contente d'acheter quelque chose dans notre pays pour l'utiliser dans le même pays. ça pose aussi des problèmes pour le commerce, plus encore quand il s'agit de produits animaux (viande ou produits laitiers) qui doivent être scellés. »

Une voie express ou un pont

Depuis quelques années, l'enjeu de la continuité territoriale du pays – devenu, depuis le 1er juillet, celui de la continuité territoriale de l'Union européenne – a été régulièrement discuté lors de comités ministériels ou techniques bilatéraux ou trilatéraux sous l'égide de l'UE.

Plusieurs solutions sont évoquées, notamment celle d'une voie express, fermée et sous surveillance ; ou celle d'un pont qui contournerait complètement Neum au niveau de la péninsule de Peljesac.

Cette deuxième option est de loin la plus populaire auprès des Croates. « La voie express implique de traverser un autre État alors qu'avec le pont on n'aura pas à quitter le territoire national, on ne sera dépendant de personne », résume une jeune femme.

Fonds insuffisants

La Bosnie, elle, préfère la route express. « Un projet moins cher et qui peut être réalisé bien plus rapidement : en quelques années tout au plus, contre six à huit pour le pont », fait valoir Amer Kapetanovic, chargé des relations bilatérales au ministère des affaires étrangères à Sarajevo.

« Cela dit, la Bosnie ne s'oppose pas à la construction du pont. À une condition : qu'il ne bloque pas notre accès aux eaux internationales. » Techniquement parlant, le pont devra donc atteindre au minimum 60 mètres de haut pour laisser passer les bateaux.

Une première tentative de construction avait été lancée fin 2007 mais s'était arrêtée faute de fonds suffisants : le coût du projet était alors estimé à près de 260 millions d'euros.

Une aide financière de Bruxelles

Nouveau membre de l'Union européenne, la Croatie espère à présent obtenir une aide financière de Bruxelles. La question, intimement liée aux frontières et à la souveraineté nationale, reste évidemment sensible, souvent manipulée des deux côtés de la frontière à des fins politiques.

Alors que Bruxelles finance une étude de pré-faisabilité sur le pont, certains politiciens croates, en pleine campagne électorale locale, y ont lu un signe européen en faveur de cette option.

Mais à Bruxelles, Peter Stano, le porte-parole du commissaire européen à l'élargissement, est formel : aucune décision n'a été prise, l'étude est toujours en cours, il serait prématuré de spéculer sur ses conclusions et l'option retenue devra ne pas être dommageable à la Bosnie.

Faire de Neum une destination touristique

À Neum, quelle que soit l'option choisie, certains commerçants se disent inquiets : ils sont nombreux à vivre des courts arrêts des voyageurs qui se ravitaillent en boissons fraîches, en essence ou en cigarettes (moins chères en Bosnie qu'en Croatie).

« C'est sûr que si un pont est construit, plus personne ne s'embêtera à perdre du temps en traversant les postes-frontières », prévoit Adriana, réceptionniste dans l'un des hôtels de la ville.

Amer Kapetanovic préfère insister sur le besoin de faire de Neum une destination touristique à part entière et non plus simplement une ville où les touristes passent. « Il faut regarder en face la nouvelle réalité : Neum va se retrouver isolée des deux côtés par des frontières européennes... Il faut relier la ville au reste du pays. »

Car si, sur la carte, la continuité territoriale bosnienne est bien là, le développement du réseau routier et l'état des routes sont tels que pour rejoindre Neum depuis Sarajevo, la capitale bosnienne, il vaut mieux en fait quitter la Bosnie, entrer en Croatie (au nord, avant le corridor de Neum), longer la côte, sortir de Croatie et rentrer quelques kilomètres plus loin en territoire bosnien !

Un nouveau régime frontalier entre la Croatie et la Bosnie

Mille kilomètres de frontières séparent la Bosnie et la Croatie. Les deux États ont signé, le 19 juin dernier à Bruxelles, un nouveau régime frontalier pour réguler la circulation des personnes et des marchandises.

Selon les estimations, plusieurs milliers de Bosniens (essentiellement des Croates de Bosnie ayant un emploi, une maison ou de la famille en Croatie voisine) traversent et retraversent la frontière chaque jour.

Jusqu'au 1er juillet 2013, les Bosniens pouvaient se rendre en Croatie munis d'une simple carte d'identité, il leur faut désormais un passeport. Un régime spécial a été accordé aux citoyens vivant à moins de cinq kilomètres de la frontière.

Les exportations de la Bosnie vers la Croatie doivent dorénavant se soumettre aux standards européens, ce qui risque fort de faire chuter celles de produits animaux (viande et produits laitiers notamment) car la Bosnie ne remplit pas encore toutes les conditions pour exporter ces produits vers l'Union européenne.

2/7/2013, SOPHIE GUESNE

Source : La Croix

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