Après des études à Paris, il entreprend son post-doctorat à New York, une ville qui le captive au point où il y est installé depuis 25 ans ! En 2006, il fait partie de l'équipe internationale composée d'une vingtaine de High-profile regroupée par le Qatar pour la réalisation de pôles scientifiques, de véritables villes du savoir.
C'est une manière, souligne Mohamed Boutjdir, natif d'un petit village près de Tafraout qui ne compte qu'une dizaine de familles, de transformer le «brain drain» (exode des cerveaux) en «brain gain» en «gain des cerveaux», car, dit-il, on peut aujourd'hui, grâce aux nouvelles technologies, travailler de là où nous sommes. Le pari est lancé, reste à transformer l'essai, comme le souligne M. Maâzouz, et à bâtir ce pont entre les deux rives de l'Atlantique, déjà porté symboliquement par l'Accord de libre-échange signé en 2006 entre le Maroc et les États-Unis, qui n'a pas encore donné ses fruits ! Autre rencontre importante, c'est la septième édition de l'AMPA, l'Association des professionnels marocains en Amérique qui se tient à Casablanca, le 21 juin 2013 sous le thème «l'entrepreneuriat : moteur de croissance au Maroc».
Le Matin : La mise en place d'un réseau requiert toujours beaucoup d'énergie. Où en êtes-vous dans le Réseau des compétences américano-marocaines (AMCN) ?
Mohamed Boutjdir : C'est un travail de longue haleine, mais stimulant, car il permet de réunifier, de donner de la cohérence et de travailler en synergie. Nous avons regroupé, depuis notre création en juin 2012, une quinzaine d'associations marocaines pour former un réseau avec l'idée de faciliter les partenariats entre le ministère chargé des Marocains résidant à l'étranger et le côté américain. Notre objectif est de mobiliser et de catalyser les compétences marocaines pour participer au développement socio-économique de notre pays. Lors de notre dernière réunion, à New York, les associations ont présenté une cinquantaine de projets avec des thématiques diverses : l'industrie des nouvelles technologies, l'énergie, l'environnement, la santé et le biomédical, la recherche scientifique, l'agroalimentaire, le développement humain, le tourisme... Trente-et-un projets ont été retenus par nos partenaires du Maroc et c'est ce que nous avons présenté le 15 juin à Rabat. Nous avons déjà signé des mémorandums et des contrats qui augurent de belles perspectives, car nous comprenons mieux l'importance et le rôle de l'économie du savoir qui est l'avenir des pays comme le nôtre. On l'a vu à travers les exemples de Singapour et de la Chine qui ont fait un saut qualitatif en travaillant avec les compétences de leur diaspora. D'autant que ces compétences sont présentes dans tous les secteurs : énergie nucléaire, médecine, biotechnologies... Notre réseau est composé d'un comité exécutif de quatre personnes et des leaders qui pilotent tels ou tels thématiques. Nous travaillons à l'horizontale, ce qui permet de régler beaucoup de problèmes !
L'objectif donc serait la participation au développement national, notamment par le biais du transfert des savoir-faire et des technologies, ce qui dans un contexte de mondialisation est salutaire. Y a-t-il d'autres objectifs ?
Nous sommes impliqués dans la cause nationale, dans la défense de notre Sahara. Aux États-Unis, le lobbying est très important, il faut expliquer, présenter, argumenter, convaincre de la justesse de nos positions, d'autant que le contexte régional avec le conflit du Sahel risque de prendre d'autres proportions. Nous pouvons, si le contexte l'exige, nous regrouper, écrire aux sénateurs, faire du lobbying.
Nous avons aussi un autre objectif, être présent auprès des enfants de notre communauté pour les encadrer. Nous pouvons servir de modèle, d'exemple dans la mesure où nous sommes venus de nos villages du Maroc et que nous avons travaillé et réussi à nous intégrer dans l'élite intellectuelle et scientifique du pays d'accueil.
Vous avez évoqué ce projet où vous étiez partie prenante au Qatar. Comme se passe la mobilisation des compétences qataries ?
Il y a plusieurs formes de mobilisation. Les compétences peuvent rentrer dans leurs pays et beaucoup le font. Il y a aussi les «visiting professership», une sorte de congé sabbatique de deux à trois ans, ou les séjours réguliers de courte durée où les chercheurs peuvent accompagner un projet.
Vous personnellement, quels projets allez-vous lancer et suivre ?
J'ai cinq projets, dont l'enseignement à distance, le e-learning qui a un rôle important à jouer, vu le nombre grandissant des étudiants qui ne seront pas obligés d'être présents physiquement à tous les cours, et un autre relatif à l'adhérence à l'hypertension. Le coût médical pour l'État de la non-prise des médicaments, notamment dans les maladies chroniques (diabète, maladies cardio-vasculaires), est énorme ! Il y a des programmes qui permettent de faire un suivi.
Pour cela, nous allons, en collaboration avec le Pr Rachida Souleymani, directrice du Centre anti-poison et son équipe, faire une étude pour identifier les causes de la non-adhérence et attirer des fonds américains pour améliorer la qualité de vie des malades.
Plateforme et culture de l'innovation
À propos de qualité de vie, comment vivent les membres de la communauté marocaine et quels liens ont-ils avec leur pays d'origine ?
Tous les Américains sont eux-mêmes des migrants et on s'amuse, en nous présentant, à rappeler de quelle génération de migrants nous venons. De la première, de la deuxième ou de la troisième ? Nous sommes approximativement quelque 350 000 Marocains qui vivent aux États-Unis, dont 30 000 à New York, ce qui constitue un formidable potentiel pour le Maroc ! D'autant que les membres de cette communauté sont très attachés au Maroc ! Nous avons aujourd'hui un ministère chargé des RME et un ministre très présent, des compétences, une volonté de renforcer le lien, de mobiliser les compétences, tous les ingrédients sont là pour réussir. Il reste que nous devons réussir un certain nombre de challenges. Il nous faut travailler dans la durabilité, avec des résultats, un échéancier et une vision planifiée. Pour chaque projet, nous demandons au ministère de désigner une personne qui serait notre point de contact et notre vis-à-vis. Grâce aux nouvelles technologies, nous avons la possibilité d'assurer un suivi rigoureux de nos contacts et des projets et, en cas de défaillances, de lancer un système d'alerte. Nous avons une plateforme électronique qui permet de faire tous les suivis possibles et nous sommes nous-mêmes très motivés pour transcender toutes les formes de contrainte, même si nous paraissons quelque peu agressifs ! En fait, nous avons une philosophie différente, celle de constamment rebondir, même après les échecs !
Quels regards portez-vous sur le Maroc ?
J'ai visité récemment la Faculté de médecine de Rabat, le CNRST (Centre national pour la recherche scientifique et technique), la Faculté de médecine de Caddi Ayyad de Marrakech et je suis très heureux des avancées réalisées. À la Faculté de Rabat, il y a sur cinq étages, un centre de biotechnologie avec les incubateurs dirigé par une compétence reconnue, M. Ibrahimi. Tout cela est encourageant ! Reste à travailler la question de la propriété intellectuelle pour pousser davantage à l'innovation, à la culture de l'innovation et à réduire les procédures bureaucratiques qui prennent beaucoup de temps et d'énergie ! Il faut identifier les personnes porteuses de talent et d'inventivité pour les aider à aller de l'avant.
Conférence «Moroccan-American Bridges»
L'Association des professionnels marocains en Amérique organise la septième édition de sa conférence annuelle (MAB) au siège de la CGEM à Casablanca le 21 juin 2013 sur le thème «l'entrepreneuriat : moteur de croissance du Maroc». MAB 2013 réunira des chefs d'entreprise, des investisseurs et des entrepreneurs venus des États-Unis et du Maroc. Le programme comprend des débats sur le lancement, le financement et le développement de start-ups ainsi que sur l'adaptation de nouveaux modèles économiques sectoriels au marché marocain. Enfin, l'événement inclura également une «Start-up Competition» et une «Career Fair» en parallèle. Les conférenciers partageront avec les participants leur expérience dans le lancement et le support à la création d'entreprises de type start-up et débattront des nouvelles tendances et modèles économiques dans les secteurs émergents comme les services financiers, l'e-commerce, le business process outsourcing et les énergies renouvelables. La conférence inclura également un concours d'entrepreneuriat (Start-up Competition) qui vise à promouvoir l'esprit d'entreprise en offrant un soutien en termes de coaching et de consulting aux start-ups marocaines les plus prometteuses. Enfin, l'événement accueillera en parallèle des employeurs à la recherche de professionnels ayant une expertise dans les domaines de la finance, des technologies de l'information et de l'ingénierie.
Yassir Abousselham, président de l'AMPA (Association of Moroccan Professionals in America), a déclaré : «notre réputation dans la communauté des professionnels marocains aux États-Unis n'a jamais été aussi forte et la conférence "Moroccan-American Bridges" permettra de renforcer encore plus les ponts entre le Maroc et les États-Unis».
18 Juin 2013, Farida Moha
Source : LE MATIN