Lampedusa, élue plus belle plage du monde par les internautes, est devenue synonyme de honte européenne. Cette petite île italienne symbolise l'échec collectif européen tant sur le plan humanitaire que politique et éthique. Un échec trop facilement attribué à Frontex, l'agence européenne qui est censée coordonner les opérations des gardes-frontières des 28 Etats-membres, mais qui, faute de moyens et de compétences suffisantes est devenue le cache-misère des échecs de la politique migratoire européenne.
En réclamant davantage de ressources et de responsabilités pour Frontex, les Etat-membres, oublient de dire qu'ils sont les ultimes responsables légaux du contrôle aux frontières. Habiles, ils éludent également le véritable débat d'importance : celui sur le besoin d'une politique migratoire européenne cohérente et coordonnée, qui contribuerait à relever les futurs défis économiques d'une Europe vieillissante.
Cette stratégie rappelle celle déployée en 2004 lorsque les opinions publiques européennes s'offusquaient de voir des migrants sub-sahariens abandonnés aux portes du désert par les autorités marocaines. Les expulsés de Ceuta et Melilla faisaient alors la une de toute la presse européenne tout comme les sauvetages en mer aux abords des îles des Canaries. Les Etats d'Europe du Sud firent alors pression sur ceux du nord, demandant davantage de solidarité à la vue de partager le 'fardeau' de l'immigration irrégulière en Méditerranée. Frontex fut alors créée et elle coordonne depuis certaines opérations conjointes des gardes-frontières des Etats européens.
Dix ans plus tard Frontex est à nouveau au centre du débat. Soudainement et pour pallier leurs faillites, les États-membres réclament bruyamment 'plus d'Europe'. Frontex vient ainsi d'allouer 2 millions d'euros supplémentaires à l'Italie. Eurosur, un système de coordination de surveillance des frontières extérieures de l'Union Européenne en discussion depuis plusieurs années, est désormais présenté comme une panacée technologique qui permettra d'éviter de nouveaux drames.
Frontex souffre pourtant d'un déficit patent de compétences du aux résistances nationales. Au lieu de mettre en place un système efficace de gardes-frontières européens, les Etats-membres ont préférés se battre pour sauvegarder leur souveraineté et garder le contrôle sur une agence européenne, dont, les missions d'interception sont décidées par son comité exécutif qui inclut les représentants de chaque Etats-membres. Jusqu'à la révision de son mandat en 2011, Frontex dépendait de la bonne volonté des Etats-membres pour mettre hélicoptères et navires à sa disposition.
UNE POLITIQUE D'IMMIGRATION AU-DELÀ DES CALCULS POLITICIENS
Les Etats-membres ont également poursuivi des politiques contradictoires allant à l'encontre de l'intérêt européen. Ainsi la coopération bilatérale entamée par l'Italie sous Kadhafi avec les autorités libyennes, décrédibilisent toute tentative de politique cohérente. Comment parler d'une seule voix si la Guardia di Finanza renvoie unilatéralement des migrants aux autorités libyennes, en violation du principe de non-refoulement ? Comment mettre en œuvre des accords de réadmission au niveau européen, si les Etats-membres continuent d'utiliser leurs propres instruments de réadmission bilatéraux, par ailleurs décidés en dehors de tout contrôle parlementaire et judiciaire ? Ces contradictions n'empêchent pas pour autant l'Italie de vouloir placer un Italien au poste de directeur exécutif de Frontex.
Les défis migratoires qui se posent à l'Europe requièrent pourtant une vision stratégique, au-delà des calculs politiciens. C'est précisément ce contrepied qu'ont pris les Etats-Unis d'Obama, en optant, malgré la crise, pour une grande réforme de l'immigration. L'objectif est de booster l'économie américaine à travers davantage de régularisations et d'opportunités légales de travail pour les immigrés. Un discours positif sur les bénéfices économiques de l'immigration qui attire depuis longtemps les immigrés nord-africains et africains les plus qualifiés et les détourne de l'Europe.
En se focalisant sur Frontex et en occultant les questions de politique de développement avec les pays sources, de l'immigration économique légale, des politiques de visa et d'asile communes, les élites politiques prennent l'Europe en otage et préparent le terrain pour les partis extrême-droite lors des prochaines élections européennes.
22.10.2013, Sarah Wolff
Source : Le Monde.fr