dimanche 24 novembre 2024 23:33

Immigration. Emigration. Pour dépolitiser un débat pollué

Ségolène Royal a affirmé la semaine dernière qu'il faudrait « dépolitiser le débat sur l'immigration » pour arriver à bâtir des solutions cohérentes et fiables. Ce qui, de mon point de vue, n'est pas du tout le cas de ces deux articles, quel que soit le désir de leurs auteurs.

Le solde migratoire de l'émigration

Il est tout à fait exact, comme le souligne Hervé Le Bras, que les médias et l'opinion publique se sont davantage préoccupés du solde migratoire de l'immigration que de celui de l'émigration d'autant plus que les données officielles nous renseignent davantage sur le nombre des entrées (régulières) que sur celui des sorties. Mais il ne faut pas en conclure que faute de chiffres disponibles après 2002 selon Hervé Le Bras, le chercheur est forcément désarmé.

Le Registre mondial des Français établis hors de France ne comptabilise certes que les Français qui s'y sont inscrits. Mais le tableau « statistiques mondiales » de la Maison des Français de l'étranger, doublé des enquêtes ponctuelles auprès des autorités locales et corrélé au rapport annuel Perspective des Migrations internationales de l'OCDE et aux statistiques compilées par Eurostat permet une approche vraisemblable des flux de sortie annuels et des choix des expatriés.

Les études détaillées que j'ai faites pour Contribuables Associés en 2009 et qui viennent d'être actualisées en 2013 à partir des chiffres de 2011 et 2012 concluent qu'on peut estimer le solde migratoire annuel des Français qui quittent notre pays sans y revenir à 80 000 personnes.

Ce solde migratoire des sorties pour émigration ne peut être déduit du solde migratoire des entrées pour immigration. Les populations qui décident d'immigrer en France et celles qui décident de s'expatrier à l'étranger n'ont ni les mêmes caractéristiques ni les mêmes motivations.

Coût de l'émigration et coût de l'immigration

Le coût de cette émigration aboutit selon nos calculs à une balance dépenses/recettes négative pour l'Etat de 9,6 milliards d'euros.

Paradoxalement ce coût est plus important que celui de l'immigration sur lequel, il est vrai, les chercheurs sérieux aboutissent à des résultats très contradictoires :

balance dépenses /recettes positive de 4 milliards pour Xavier Chojnicki (hors immigration irrégulière),

balance négative de 73,3 milliards pour Yves-Marie Laulan,

de 71 milliards d'euros pour Gérard Pince (coût de l'immigration du seul Tiers Monde),

de 84 milliards d'euros pour André Posokhov.

La moindre des choses serait d'étudier ces analyses, quitte à en critiquer le bien fondé, au lieu de se contenter d'affirmer :

« Quant au coût des étrangers, ce qu'ils versent et ce qu'ils reçoivent est à peu près équivalent. »

Ce qui par ailleurs revient à confondre immigrés et étrangers (confusion fréquente puisque Nicolas Sarkozy l'a fait quatre fois dans son face-à-face avec François Hollande !).

Nous avons de notre côté essayé d'affiner ce coût en distinguant la balance dépenses/recettes (solde négatif de 8,8 milliards d'euros) et la balance investissements/rentabilité.

Les dépenses d'investissement représentent environ 8,7 milliards d'euros dont on ne connaîtra la rentabilité que quand ceux pour qui sont consenties ces dépenses et notamment les jeunes d'origine étrangère entreront dans le marché du travail.

Refuser la diabolisation

Dans l'article sur Michèle Tribalat, ce qui ne m'a pas paru sérieux, c'est cette tentative, consciente ou non, de décrédibiliser le travail d'un chercheur en le présentant comme récupéré malgré lui par le Front National. Je connais cette stratégie puisque j'en ai été victime autrefois. On sait comment la simple accolade à votre nom d'un « Le Pen », père ou fille, suffit à jeter l'opprobre sur un auteur en le marquant d'une tache infamante aux yeux d'une partie de l'intelligentsia de gauche.

Dans le portrait , d'ailleurs relativement documenté, qu'il brosse de Michèle Tribalat, le journaliste de Rue89 n'y va pas avec le dos de la cuillère. Le langage utilisé trahit son auteur. Je cite :

« Sa technique. Feindre de rester dans l'observation pure. Ne pas touiller de projets concrets. Laisser à d'autres le soin de tirer des conclusions (déjà bien moulées par ses soins). »

Bref, pour prolonger les métaphores culinaires du commentateur, elle servirait la soupe aux frontistes.

Mettre sur la table les réalités des migrations, c'est toujours risquer d'être ostracisé par les uns et instrumentalisé par les autres.

Dans un débat inévitable mais qui tourne trop vite à l'invective, on attendrait des confrontations de points de vue, des chiffres sourcés, des arguments, des perspectives.

Il me semble justement que Rue89 pourrait être un des lieux de parole et d'écriture où, loin des insinuations, des simplifications et des amalgames, on pourrait partir en guerre contre les idées reçues sans endosser l'armure des procureurs ou des justiciers.

29/10/2013, Jean-Paul Gourévitch

Source : Rue89

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