Son film Né quelque part - il est à la fois producteur et acteur - sort demain sur les écrans. Jamel Debbouze, lui-même fils d'immigrés marocains, y évoque la vie des clandestins dont il vante « l'humanité extraordinaire ».
Vous êtes producteur et acteur de Né quelque part, qui sort demain. Qu'est-ce qui vous a poussé vers ce premier film de Mohamed Hamidi ?
On m'avait beaucoup parlé de lui avant que je le rencontre. Son frère est auteur chez les Guignols. Il a fondé le Bondy-Blog après les émeutes en banlieue. Il est agrégé d'économie, mais surtout il est extrêmement drôle. C'est par l'humour qu'on a accroché. C'est la première fois qu'on raconte les enfants d'immigrés au cinéma.
Je me sentais très concerné de par ma propre histoire. Mais je lui ai d'abord demandé de mettre en scène mon spectacle. J'avais besoin de savoir à qui j'avais affaire. D'adhérer à la personne d'abord. C'est peut-être con mais avec Bouchareb, avec Chabat, on vient d'un endroit où l'humain passe avant tout. Espérons que ça va rester comme ça longtemps.
Fils d'immigré, qu'est-ce que ça signifie ?
J'ai une force extraordinaire : le lien avec le Maroc ne s'est jamais cassé. Souvent, les gens de ma génération ne savent pas parler arabe, ils ne connaissent pas trop leur culture. Moi, je la connais parfaitement, on a grandi arabe, on parlait arabe, on mangeait arabe, on vivait arabe. Le marocain était la langue officielle.
On était au Maroc quand on était chez nos parents mais, quand on franchissait le paillasson, on était en France. Enfant, j'ai vécu au Maroc pendant trois ans. Depuis dix ans, j'y retourne trois-quatre fois par an. C'est quelque chose d'indispensable, de vital pour moi. J'ai une approche particulière avec mon pays d'origine.
Ça se passe en Algérie, mais vous avez tourné au Maroc...
L'Algérie, c'était compliqué. Tant qu'il n'y aura pas de tourisme, l'ouverture sera difficile. On a essayé de tourner là-bas. Mais on s'en fout, c'est un faux débat. Harry Potter a été tourné à 90 % au Portugal.
En Algérie, malheureusement, ça ne fonctionne pas car c'est sclérosé depuis 1830. Mais on y va. J'ai joué mon spectacle là-bas il n'y a pas longtemps, à Alger et à Oran. Les choses s'améliorent considérablement. Il y a un formidable appel de la jeunesse. Je l'ai vu, je l'ai vécu.
C'est un film qui parle des clandestins...
Ils sont d'une humanité extraordinaire. Il m'est arrivé d'en cacher. J'ai de la famille, j'ai des amis qui n'ont pas de papiers. Je connais leur condition. Ils souffrent de ne pas être considérés. Ils prennent des risques fous, ils sont prêts à mourir. Pour quoi ? Pour avoir un téléphone portable, pour pouvoir s'acheter des baskets, pour avoir une copine et l'inviter au restaurant, des choses qui nous paraissent complètement banales et qui sont des fantasmes pour eux.
J'avais envie d'humaniser les clandestins. Rappeler combien ils sont stigmatisés et mal racontés. L'immigration, c'est une magnifique nouvelle pour la France. Ça n'est pas un problème mais une solution. Ce ne sont pas des sous-hommes et des sous-femmes, ce sont des gens qui souffrent dans leur chair, qui n'ont qu'une envie, mieux vivre.
Vous parlez aussi de la famille...
On est très pudiques dans nos familles, on ne se dit pas je t'aime. On a beaucoup de mal à mettre des mots sur les émotions et les sentiments. Mais je me suis rattrapé. Ma mère, je lui dois tout. Mon rêve, c'est de faire un film sur elle. J'intitulerai ça La vie de ma mère. Je raconterai le parcours de cette dame partie d'un petit village au Maroc, arrivée à Barbès en passant par Trappes et qui a fait de nous ce qu'on est, des gens fiers.
Un projet sérieux ?
Je vais le faire, je vous jure. Pagnol, quand il raconte son père, c'est splendide. Ma mère, c'est elle qui m'a fait rire la première fois. Qui a dédramatisé tout ce qui se passait autour de nous, qui nous a donné ce mode de pensée, cette façon de communiquer. Sans faire de misérabilisme à deux balles, dédramatiser est le meilleur des médicaments pour tout affronter.
Deux personnes m'ont donné les outils de compréhension de la vie : Madame Debbouze et Charlie Chaplin. Il nous raconte la misère comme personne. Mais ça n'est pas la misère qui est grave, c'est d'être seul. C'est bien plus grave. Seul heureux, c'est pas possible, c'est nul, ça ne sert à rien. On a vécu à seize à Barbès, à vingt-deux à Trappes. Je viens de cette culture de la solidarité.
18 juin 2013, Pierre FORNEROD
Source : Ouest France