Arrivé du Tadjikistan sur les chantiers de Sotchi pour les jeux Olympiques de février, Sabir n'est plus payé depuis six mois, tandis que d'autres ouvriers ont été expulsés de Russie au cours d'opérations anti-immigrés dénoncées par les ONG.
Des dizaines de milliers d'ouvriers de pays d'Asie centrale, tel le Tadjikistan et l'Ouzbekistan, ont été recrutés pour les vastes chantiers de constructions de bâtiments, routes et ponts à Sotchi, station balnéaire entre la mer Noire et les montagnes du Caucase, hôte des JO d'hiver dont le président Vladimir Poutine entend faire une vitrine de la Russie.
Mais l'ONG Human Rights Watch (HRW) dénonce "l'exploitation de travailleurs immigrés sur les sites olympiques, incluant de sérieux retards de paiement ou des non-paiement de salaires, le refus de fournir des contrats de travail écrits et permis de travail tel que l'exige la loi", selon un récent communiqué.
En témoigne l'expérience de Sabir, employé sur des chantiers depuis septembre 2012: "Pendant six mois j'ai été payé avec du retard, mais maintenant, ça fait six-sept mois que j'attends l'argent", raconte-t-il à l'AFP, aux abords du chantier de la nouvelle gare ferroviaire en face du parc olympique.
Ils m'avaient promis que je serais payé, mais il ne me paient pas
"Ceux qui m'ont embauché m'avaient promis que je serais payé, mais ils ne me paient pas et commencent à me menacer. Je suis fatigué, je veux rentrer chez moi", déclare ce Tadjik qui fait des "petits boulots" après le travail pour subvenir à ses besoins.
Désespéré, Sabir est allé frapper à la porte du petit bureau de l'ONG Memorial, proche du chantier, où Semen Simonov apporte son aide aux ouvriers immigrés qui se succèdent pour demander comment récupérer leurs salaires non payés ou les documents officiels qu'ils se voient refuser.
"Depuis le début de l'année, nous avons eu 18 cas où les ouvriers qui ne touchaient pas leur salaire ont obtenu gain de cause après l'intervention de Mémorial", déclare à l'AFP M. Simonov, qui s'occupe de plus de cent dossiers et dénonce le laxisme des autorités russes.
Plutôt que de prendre des "initiatives efficaces pour mettre un terme à l'exploitation abusive des travailleurs immigrés" par des sociétés sans scrupules, renchérit HRW, les autorités semblent "davantage préoccupées à interpeller et expulser (de Russie) des ouvriers qui ont essayé de se plaindre du traitement abusif de leurs employeurs".
En septembre, Alexandre Tkatchev, le gouverneur de la région de Krasnodar, dont Sotchi fait partie, avait appelé à la création de "brigades d'intervention" composées de policiers, d'hommes des services de l'immigration et de volontaires pour "nettoyer" les rues de la ville à quelques mois des JO, du 7 au 23 février 2014.
Des centaines de personnes interpellées dans des rafles
Au cours des "rafles" qui ont suivi, des centaines de personnes ont été interpellées, "pour la plupart des travailleurs immigrés dont beaucoup ont été ciblés en raison de leur apparence non slave", déplore HRW.
"Il est scandaleux que des travailleurs immigrés qui ont aidé à construire les nouvelles enceintes olympiques se retrouvent en détention et expulsés" pour avoir avoir prétendument séjourné irrégulièrement en Russie, a critiqué Jane Buchanan, directrice de HRW pour l'Europe et l'Asie centrale.
Ces opérations se sont poursuivies alors même qu'une délégation du Comité international olympique se trouvait à Sotchi fin septembre pour une dernière visite d'inspection, a-t-elle ajouté, appelant le CIO à dénoncer de telles méthodes.
En ce moment, "les tribunaux à Sotchi prononcent tous les jours 15 expulsions", affirme M. Simonov, estimant que les autorités cherchent ainsi à "obtenir le soutien de la population, et en particulier des nationalistes", à l'approche des JO.
Ces opérations témoignent de la montée des sentiments anti-immigrés et ultranationalistes en Russie, à l'image de celles lancées à la mi-octobre par la police de Moscou au lendemain d'émeutes xénophobes après le meurtre d'un jeune Russe par un homme originaire d'Azerbaïdjan.
Plus de mille personnes avaient été interpellées en une journée sur un marché de gros où travaillent essentiellement des immigrés d'ex-républiques soviétiques d'Asie centrale et du Caucase.
24 oct 2013, Benoit FINCK
Source : AFP