Les Marocains seriaient-ils racistes et xénophobes? La question n'a rien de nouveau. Elle se fait récurrente ces derniers temps. Depuis que le Maroc est devenu un territoire de transit pour les migrants africains qui rêvent d'atteindre les côtes espagnoles. Une question qui s'est imposée avec force, l'année dernière, avec l'affaire Maroc Hebdo qui a jeté un pavé dans la mare. Entre ceux qui dénoncent et condamnent et ceux qui pensent qu'une «négrophobie» rampante est en train de gagner du terrain au Royaume.
Cependant, ce débat intense et riche a permis de mettre sous les projecteurs un combat quotidien de nombreux militants de la société civile, de journalistes, des intellectuels et de simples citoyens qui condamnent ces relents racistes et qui militent en silence pour un Maroc juste et ouvert envers ses réfugiés et migrants, au-delà de leurs races, religions ou origines. Des Marocains qui œuvrent dans les associations, les syndicats et au sein des partis politiques pour promouvoir les droits de ces migrants à une vie digne et décente.
On milite en silence
Malika Okhta fait partie de cette majorité silencieuse. Elle est chargée du programme que le Haut commissariat des Nations unies pour les réfugiés (UNHCR) a mis en place à travers la Fondation Orient-Occident pour aider les refugiés à s'intégrer dans la société marocaine. «Cela fait deux ans que je suis à la Fondation. J'ai commencé mon travail comme enseignante de l'arabe dialectal (darija) au profit des migrants avant d'entamer une carrière administrative en tant que chargée de l'éducation. Ma mission consiste à assister les enfants réfugiés dans le domaine de la scolarisation à travers notamment une action de plaidoyer auprès de l'administration publique pour l'acquisition des autorisations nécessaires à leur inscription dans les écoles publiques», nous a-t-elle indiqué. En effet, le HCR veille à ce que tous les enfants des réfugiés en âge de scolarité accèdent, au même titre que les petits Marocains, aux différents cycles de l'enseignement (primaire, secondaire, université). Son objectif est de permettre à ces enfants de vivre dans un cadre familial équilibré, paisible et serein, et d'accéder aussi à un système éducatif adéquat qui pourrait éventuellement contribuer à leur intégration dans la société.
Une mission que mène parfaitement bien Malika puisqu'elle a réussi en deux années à scolariser des centaines d'enfants réfugiés âgés de 5 à 14 ans de différentes nationalités (Irakiens, Palestiniens, Ivoiriens, Congolais et Camerounais, etc.), dans des établissements publics et privés à différents niveaux scolaires. «Depuis que Malika est là, on a passé de quelques enfants scolarisés dans les écoles publiques à des dizaines. On est presque proche de 100%», nous a raconté Marc Fawe, chargé des relations extérieures du HCR Maroc, avant de poursuivre : «Elle est un élément clé dans ce dispositif puisqu'elle a réussi en deux ans à nous aider à mener cette mission bien qu'il n'y ait pas de circulaire ministérielle, autorisant la scolarisation des enfants réfugiés et migrants».
Scolarisation des enfants entre texte législatif et réalité
En effet, si la scolarisation des enfants est obligatoire au Maroc, celle des enfants réfugiés et migrants demeure floue puisqu'aucun texte législatif ne régit cette question. D'autant plus que plusieurs obstacles nuisent à un meilleur accès des réfugiés au système scolaire. C'est le cas pour les documents administratifs. En effet, les parents souhaitant inscrire leurs enfants dans les écoles publiques doivent produire certains documents, notamment le livret de famille délivré par le service de l'état civil. Les réfugiés et demandeurs d'asile ne possèdent généralement pas ce document, ce qui empêche leur inscription dans les zones où cette exigence est strictement respectée. Une contrainte qui s'impose également au niveau des crèches et écoles privées qui exigent au moins un carnet de vaccination et un acte de naissance. «Même si on a réussi à inscrire ces enfants sans documents administratifs, le problème se pose de nouveau avec acuité au niveau de l'enseignement supérieur», nous a précisé Malika.
Le problème de la langue s'invite aussi à la liste des contraintes. Les cours dans les écoles publiques sont dispensés en langue arabe et nombre d'enfants réfugiés et migrants trouvent des difficultés à suivre les cours, notamment pour les enfants issus des pays anglophones. «On dispense au sein de la Fondation des cours en darija mais cela semble insuffisant», a affirmé Malika.
Cependant, la pratique dans les académies du Royaume est tout autre. En effet, les enfants de réfugiés et demandeurs d'asile bénéficient d'une tolérance et peuvent s'inscrire dans les écoles primaires, secondaires et même supérieures. Pour les responsables du ministère de l'Education nationale, ces enfants doivent être scolarisés. Leur place est sur les bancs des écoles et non dans la rue. «Nos responsables sont conscients que le droit à la scolarisation est d'abord un droit universel reconnu par les conventions internationales ratifiées par le Maroc. Pour eux, la question ne se pose même pas. Leurs bureaux sont ouverts et prêts à donner un coup de main. D'ailleurs la liste des inscrits pour 2013/14 a été bien établie sans aucun souci», nous a expliqué Malika.
Aujourd'hui, le pays compte 213 enfants réfugiés dont 64 sont âgés entre 0 et 4 ans, 79 entre 5 et 11 ans, 70 entre 12 et 17 ans. «Le nombre d'enfants réfugiés est réduit et n'est pas en âge de scolarité», nous a précisé Marc Fawe. «Pour l'année en cours, on a près de 63 enfants qui poursuivent leur scolarité contre 74 l'année dernière. Rabat accapare une grande partie de ces enfants suivi de Casablanca et Tanger. D'autres enfants sont établis au niveau de Marrakech et Meknès», nous a expliqué Malika. La capitale est très convoitée du fait que le bureau du HCR s'y trouve et que ses programmes destinés aux réfugiés et demandeurs d'asile se déploient principalement dans cette ville. De ce fait, ces derniers, une fois qu'ils font des dépositions auprès du HCR, s'installent dans la capitale ou dans les villes voisines de Salé et Casablanca.
Comme si c'était les siens
Pour Malika, ces enfants des réfugiés et migrants sont considérés comme si c'était les siens. «Je leur consacre mon temps, mon énergie et mon amour. Je suis là pour eux, à les écouter et les comprendre. Et eux aussi, trouvent leur bonheur auprès de moi et se sentent heureux quand ils me voient», nous a-t-elle confié avant d'ajouter : «Ça me fait plaisir de voir des enfants souffrants venir vers moi, être confortés par ma présence et avoir confiance en moi».
Malika estime que ces enfants méritent mieux. «Je vois en eux de simples êtres humains, abstraction faite de toute appartenance raciale, religieuse ou sociale. Des enfants qui doivent jouir de leurs droits les plus élémentaires comme leurs semblables», nous a-t-elle précisé.
Mais cette mission n'est pas une partie de plaisir, car le travail est fatigant et stressant. Il absorbe son temps, jour et nuit et sept jours sur sept. «Si je ne suis pas dans les écoles, je suis au bureau pour assurer le suivi. Parfois je quitte mon bureau à 8 heures de soir», nous a-t-elle indiqué.
Les drames font également partie de ce travail. Malika est témoin de tragédies indicibles relatées par des réfugiés et demandeurs d'asile avant de quitter leurs pays. Elle se souvient encore de cette famille congolaise, une mère et ses deux enfants qui ont péri en mer après une tentative d'immigration clandestine vers l'Espagne. «Cette famille a été l'une des bénéficiaires des programmes qu'on dispense au sein de la Fondation. J'étais proche d'eux et j'ai commencé à assurer leur intégration malgré quelques difficultés. Quand j'ai entendu la nouvelle, je me suis effondrée en pleurant. J'avais du mal à accepter une telle chose. La mort de cette famille a été ressentie comme un échec pour notre mission», nous a-t-elle confié.
Malika a pensé à maintes reprises à tout arrêter, en vain. Son métier a pris le pas sur sa vie privée. Et pour cause, un amour inconditionnel pour son travail. «J'ai pas choisi ce métier par hasard. C'est un travail qui demande beaucoup d'amour, de patience et de dévouement. Des qualités que j'estime avoir pour accomplir cette mission», a-t-elle lancé avec fierté. Je suis satisfaite de mon travail et cela ne veut pas dire que j'ai atteint mes limites. J'ai encore des projets et des rêves à accomplir». Peut-être que Marc Fawe avait raison de dire que Malika fait honneur au Maroc.
UNHCR au Maroc
Le Haut commissariat des Nations unies pour les réfugiés (UNHCR) est présent au Maroc depuis 1965, d'abord à travers une représentation honoraire puis une représentation à part entière avec la signature, le 20 juillet 2007, d'un accord de siège entre l'UNHCR et le gouvernement marocain. Cet accord de siège permet à l'UNHCR de s'acquitter pleinement de son mandat et d'accompagner le pays dans le respect de ses engagements internationaux.
Le Maroc a, en effet, ratifié la Convention de 1951 relative à la détermination du statut de réfugié le 26 août 1957 et son Protocole additionnel de 1967 approuvé le 20 avril 1971. Le Décret Royal 5-57-1256 du 29 août 1957, fixant les modalités d'application de la Convention de Genève, est entré en vigueur le 6 septembre 1957 en confiant la protection juridique et administrative des réfugiés au Bureau des réfugiés et apatrides relevant du ministère des Affaires étrangères et de la Coopération. L'article 2 de ce Décret stipule que ce même bureau reconnaît la qualité de réfugié à toute personne qui relève du mandat de l'UNHCR ou qui remplit les critères de la définition de réfugié telle que stipulée dans la Convention de 1951.
Cependant, le Décret de 1957 n'a jamais été respecté dans sa totalité et, depuis 2004, le Bureau des réfugiés et apatrides a suspendu ses activités en matière d'octroi du statut de réfugié. En l'absence d'une procédure nationale effective en la matière, l'UNHCR enregistre les demandes d'asile et conduit la détermination du statut de réfugié conformément à son mandat.
Malika, un long parcours professionnel
Née en 1969 à Imilchil, Malika a fait ses études primaires et secondaires à Errachidia avant de débarquer à la Faculté des lettres de Meknès où elle a obtenu une licence en linguistique en 1996. Pleine d'ambitions et de rêves, elle regagne Rabat où elle intègre le centre Al Manar pour décrocher après 3 ans de formation, un diplôme d'éducatrice spécialisée. Un parcours qui sera enrichi par une série de stages dans les établissements scolaires, les associations et les centres d'accueil. (Centre Lalla Meryem pour les enfants abandonnés, l'école la Dame de la paix, la Fondation Zagora à Casablanca et SOS Village à Marrakech).
20 Juin 2013, Hassan Bentaleb
Source : Libération