Une commission d'enquête parlementaire accuse les autorités nationales de «défaillance massive» dans l'enquête sur une série de crimes racistes intervenus entre 2000 et 2006.
Au moment où plusieurs partis d'extrême droite mènent une campagne contre les demandeurs d'asile en Allemagne, une commission d'enquête parlementaire a accusé jeudi les autorités nationales de «défaillance massive» dans l'enquête sur une série de crimes racistes intervenus entre 2000 et 2006. Pendant toutes ces années, le trio néonazi baptisé Clandestinité national-socialiste (NSU) a commis neuf meurtres, essentiellement de personnes d'origine turque, trois explosions et 27 braquages. Le tout sans avoir été inquiété une seule fois par les autorités. Ni la police, ni le renseignement intérieur, ni la justice n'ont suivi la piste du crime raciste, privilégiant systématiquement d'autres hypothèses comme celle du règlement de comptes au sein de la communauté turque. Ce n'est que par hasard, après le suicide de deux membres de la cellule terroriste, en 2011, que l'enquête a été élucidée. La dernière survivante du complot, Beate Zschäpe, fait actuellement l'objet d'un procès à Munich.
Pour Sebastian Edathy, député social-démocrate (SPD) et président de la commission d'enquête parlementaire, l'Etat de droit a rompu deux promesses fondamentales : protéger ses citoyens et rendre justice aux victimes. «Nous en venons clairement à la conclusion que nous avons affaire à un échec massif des autorités», a-t-il déclaré jeudi à l'occasion de la publication du rapport de 1.400 pages devant une foule de journalistes. Parmi les failles, il apparaît que les autorités n'ont pas coopéré entre elles, ni au niveau des différents Länder, et qu'elles ont systématiquement sous-estimé la piste raciste. «Pour chacun des crimes et délits, les enquêteurs n'ont absolument pas creusé la piste raciste», a déclaré Clemens Binninger, député chrétien-démocrate (CDU) et membre de la commission. Ils n'ont pas non plus songé à un quelconque lien entre les différentes affaires. «Cela doit tous nous conduire à réfléchir, a-t-il ajouté. Personne n'y a pensé, ni les autorités, ni les politiques, ni les médias.»
47 recommandations
Les auteurs du rapport ont proposé 47 recommandations. Celles-ci incluent une réforme du renseignement intérieur, la mise en place d'une meilleure communication entre les différentes institutions, notamment au niveau régional, ou l'obligation d'examiner la possibilité de motif raciste dans chaque cas de violence commis sur une personne issue de minorité ethnique. Pour la première fois depuis 59 ans, l'ensemble du rapport et ses recommandations ont été votés de façon unanime par toutes les fractions parlementaires. Les membres de la commission s'accordent également sur le fait que la cellule NSU n'a pas bénéficié d'un quelconque soutien des enquêteurs. «Il y a un problème de mentalité, pas un problème de racisme» au sein des autorités, a affirmé Sebastian Edathy. Les familles des victimes et leurs avocats ont cependant critiqué le rapport, estimant qu'il n'avait pas pris acte du «problème décisif», à savoir un «racisme institutionnel» en Allemagne.
Ce rapport est rendu public alors que l'augmentation des demandeurs d'asile en Allemagne fait l'objet de protestations. Le parti néonazi NPD et le parti nationaliste Pro Deutschland organisent depuis une semaine des manifestations contre l'ouverture d'un nouveau foyer d'accueil dans le quartier berlinois de Hellersdorf. Une quarantaine de réfugiés ont été installés dans une école désaffectée de ce quartier où le chômage est élevé. «Quatre-vingt-cinq pour cent des demandeurs d'asile sont des fraudeurs», a scandé mercredi Lars Seidensticker, un leader de Pro Deutschland, devant l'Office d'accueil berlinois des demandeurs d'asile, leur promettant «un aller simple vers la lune, un aller simple vers leur patrie». Le parti d'extrême droite réunissait seulement une dizaine de militants. De l'autre côté de la rue, plus de 100 militants des Verts, du SPD ou des Jeunes socialistes manifestaient contre les néonazis avec des drapeaux et des sifflets. Selon un porte-parole de la police, 300 membres des forces de l'ordre étaient présents.
23/08/2013, Thibaut Madelin
Source : Les Echos