Le pays est confronté à une pénurie de main‑d'œuvre dans plusieurs secteurs d'activité.
Ils sont aides-soignants, chauffagistes, plombiers ou encore cheminots, vivent aux quatre coins du monde et ont en poche un précieux sésame. Depuis juillet, les portes du marché du travail allemand leur sont ouvertes. Confrontée à une pénurie de main-d'œuvre dans ces secteurs, l'Allemagne entend recruter au-delà des frontières de l'Union européenne.
« Une petite révolution », souligne Thomas Liebig, économiste à l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) et coauteur d'un rapport, publié en février, qui jugeait l'Allemagne trop fermée aux travailleurs étrangers peu ou moyennement qualifiés.
La mesure vient enrichir un dispositif législatif qui dessine depuis peu les contours d'une immigration choisie, version allemande. En 2011, l'Allemagne a amélioré la reconnaissance des diplômes et des qualifications obtenus à l'étranger. L'année suivante, le pays a assoupli les conditions d'entrée et de séjour des professionnels hautement qualifiés en transposant « de façon très libérale la directive européenne de 2009 créant la carte bleue européenne, ce droit d'entrée et de séjour donné aux diplômés décrochant un contrat de travail dans l'Union », explique Thomas Liebig.
« Le recours à la main-d'œuvre étrangère est un impératif »
Le législateur allemand en a profité pour créer le « job search visa », qui donne six mois aux titulaires d'un diplôme universitaire pour trouver un emploi en Allemagne. En 2011, 65 000 postes d'ingénieur n'avaient pas trouvé preneur, rappelle l'association des ingénieurs allemands (VDI).
« Pour soutenir la croissance économique dans un contexte de déclin démographique, le recours à la main-d'œuvre étrangère est un impératif, souligne Thomas Liebig. Parallèlement, l'Allemagne doit activer ses leviers internes : allonger la durée de vie active, améliorer le système de formation et d'orientation, et renforcer la présence des femmes sur le marché du travail. »
Avec un taux de fécondité inférieur à 1,5 enfant par femme depuis 1975, le vieillissement de la population menace la prospérité du pays. Selon Eurostat, l'office statistique de l'Union européenne, sans un apport migratoire significatif, les plus de 65 ans représenteront 33 % de la population allemande en 2060, contre 20 % actuellement. L'Agence fédérale pour l'emploi (BA) estime que le pays aura perdu 6,5 millions d'actifs en 2025.
« Travailleurs invités »
Reste à faire entrer la nouvelle approche dans les esprits. « La législation allemande sur l'immigration de travailleurs est devenue l'une des plus libérales des pays de l'OCDE, mais employeurs et candidats la perçoivent encore comme restrictive, explique Thomas Liebig. Jusqu'à récemment, elle a effectivement consisté en une interdiction d'embaucher assortie d'exceptions. »
Dans les années 1960, la République fédérale, en pleine croissance économique, avait bien fait venir de la main-d'œuvre, notamment de Turquie, mais personne n'imaginait alors que les « travailleurs invités » s'installeraient pour de bon. Pendant longtemps, rien ne fut fait pour les intégrer.
Même en 2000, quand le chancelier social-démocrate Gerhard Schröder décida d'accorder 20 000 titres de séjour à des informaticiens, les conditions demeurèrent draconiennes : la « green card » allemande n'était valable que cinq ans et toute perte d'emploi la rendait obsolète.
Le programme connut d'ailleurs un succès limité, avec moins de 15 000 cartes délivrées à l'été 2003. Mais la mesure lança le débat sur l'immigration de travailleurs, envisagée pour la première fois comme une réponse au vieillissement de la population. En découla une loi, adoptée en 2004, qui amorça un nouveau rapport à l'immigration.
Les Européens de l'Est sont depuis peu rejoints par des Espagnol, des Italiens ou des Grecs
L'Allemagne a aussi développé plusieurs outils pour attirer de la main-d'œuvre étrangère. Le portail Internet « Make it in Germany », disponible en allemand et en anglais, vante la qualité de vie outre-Rhin et regorge de conseils, tandis que l'Agence fédérale pour l'emploi dispose désormais d'un service dédié au recrutement des travailleurs qualifiés à l'étranger.
La stratégie porte déjà ses fruits en Europe. Nombreux à tenter leur chance, les Européens de l'Est sont depuis peu rejoints par des Espagnols, des Italiens ou des Grecs, confrontés à un chômage record dans leurs pays. « Beaucoup d'Européens décident sur un coup de tête de s'installer en Allemagne mais repartent vite, regrette-t-on néanmoins à l'Agence. Soit ils n'ont pas le profil recherché par les entreprises, soit ils s'installent hors des zones pourvues d'un riche tissu industriel, ou ils ne maîtrisent pas la langue. »
Ce dernier obstacle apparaît comme un frein majeur à l'établissement d'étrangers outre-Rhin. « Pour la majorité des chefs d'entreprise, la condition sine qua non à l'embauche d'un étranger, c'est qu'il parle allemand, souligne Thomas Liebig. Or, le pays ne dispose pas d'un vivier de germanophones à l'étranger. »
25/8/13, Amille Le Tallec
Source : La Croix