mercredi 27 novembre 2024 19:33

L’immigration et le discours religieux : Entrevue avec l’Imam montréalais, Faïçal Bensaid

Chercheur en sciences de l’Islam‎, le jeune Imam montréalais, Faïçal Bensaid, est en phase avec son époque. Tout au long de ses études, il a bénéficié de l’enseignement de grands érudits du monde musulman, et il s’intéresse au soccer, au hockey, à l’art et à la culture.

F. Bensaid est également très actif au sein de sa communauté. Il travaille inlassablement à la sensibilisation des jeunes québécois de confession musulmane et prêche, par un discours tolérant et en harmonie avec les préceptes de l’Islam, pour une intégration de sa communauté à la société d’accueil.

Le jeune Imam est, de surcroît, maître d’arts martiaux, et considère que le sport, en général, et les arts martiaux, en particulier, contribuent à l’équilibre nécessaire entre le corps et l’esprit.

M. Bensaid nous a accordé une entrevue, dont voici le texte intégral :

Q : L’afflux d’immigrants de confession musulmane a eu pour effet de transposer, dans une société canadienne qui se veut libérale, un Islam rigoriste en déphasage avec les valeurs de la société d’accueil.
À votre avis, ces courants de pensée sont-ils là pour rester et jouissent-ils de la même popularité que dans certains pays musulmans ?

R : Il est clair que cette idéologie n’a pas trouvé sa place au Québec ou au Canada. J’ai fait ce constat en sondant largement les opinions des uns et des autres à travers le pays. L’analyse des deux cadres de vie, celui de la société d’accueil et celui des immigrants de confession musulmane, m’a aidé à relever un décalage entre le discours religieux et les conditions de vie en terre d’immigration. Ce discours ne prend pas en considération les mentalités et les valeurs du pays d’accueil. Il plonge, sans équivoque, certains musulmans dans une sorte de contradiction totale entre les messages véhiculés et l’environnement dans lequel ils évoluent.

Certains Imams sont en total déni de la réalité socio-culturelle québécoise et canadienne, et n’adaptent pas leurs prêches aux aspects concrets de la vie quotidienne ; ce qui pourrait induire les personnes les plus fragiles dans la confusion et leur transmettre une fausse idée de ce qu’est l’Islam.
Pour appuyer mon opinion, je citerai l’Imam Achafii (que dieu l’ait en sa sainte miséricorde), lorsqu’il se rendit à Bassora en Iraq pour enseigner les préceptes de l’Islam aux habitants de cette région. Il eut la claire-voyance d’adapter son discours religieux à la mentalité inhérente à leur propre environnement. Ces grands érudits l’avaient compris des siècles auparavant, pourquoi pas certains Imams contemporains, alors que le monde est en perpétuelle évolution ?

Q : Justement en parlant de changement, le discours religieux inspire-t-il, à la jeunesse musulmane tolérance et respect des croyances ?

R : Si nous réussissons à bien encadrer les jeunes en leur enseignant les vraies valeurs de l’Islam et les bons principes de leur culture d’origine, nous les encouragerons à devenir des éléments qui participent activement au développement de la société canadienne sur tous les plans. Nous aurions, par ricochet, relevé un défi pressant : Celui de leur transmettre les bases solides de l’Islam qui sont, foncièrement, en adéquation avec l’évolution de la société humaine.

Les jeunes sont assez influençables et peuvent facilement sombrer dans la radicalisation et la violence sous leurs formes. Toutefois, il faut se munir d’outils en adéquation avec la perception qu’ont ces jeunes par rapport à leur environnement social, culturel et politique.

Q : Pouvez-vous nous orienter vers les outils dont il faut se munir pour mieux encadrer notre jeunesse ?

R : À mon sens, il faut privilégier, fondamentalement, trois points importants pour que l’approche soit des plus optimales.

Tout d’abord, connaître et faire connaître l’histoire de l’Islam, ensuite toucher l’essence de la religion et, enfin, connaître essentiellement la psychologie de ses jeunes interlocuteurs.
J’ai souvent eu l’occasion de côtoyer des jeunes de toutes les couches sociales dans le cadre de différentes activités et, spécifiquement, lors de mes coachings en arts martiaux. Cela m’a permis de mettre en œuvre des stratégies d’encadrement en prévention du décrochage scolaire ou en lutte contre la radicalisation et l’intolérance. Cela m’a également permis d’aider à réduire le large fossé entre leurs cultures d’origine, véhiculées essentiellement par leurs entourages immédiats (parents, familles,…), et celle à laquelle ils sont confrontés à l’extérieur de leurs foyers.

Q : Auriez-vous des conseils à donner aux parents de ces jeunes qui vivent parfois une énorme confusion entre leur vie familiale et la réalité à l’extérieur ?

R: Avant d’enseigner la religion à quiconque, il est essentiel d’enseigner, tout d’abord , les valeurs humaines. Le sens de la transcendance de la communication, prendra à cette mesure, une ampleur tangiblement intéressante.

Si la vision des parents, en matière de transmission des messages positifs est claire, elle détalera automatiquement sur les enfants et aidera à la construction de personnalités équilibrées. Elle participe également à une plus grande estime de soi chez les jeunes. Toutefois, la réalité est toute autre ! Il existe un déficit alarmant de communication entre les parents et les enfants.
Nous pouvons constater une absence de flexibilité dans l’approche de certains parents quant à l’orientation de leurs enfants vers « le droit chemin » ; probablement, parce qu’ils sont trop pris dans les mailles du filet des contraintes quotidiennes.

Il serait, donc, judicieux d’œuvrer à se munir d’outils d’encadrement en adéquation avec chaque personnalité ; chose qui favoriserait le tissage même des liens entre la culture mère et celle du pays d’accueil.
Dans tout ce processus éducationnel, le rôle de la société d’accueil est tout aussi marquant que celui des parents ; laquelle société devrait, idéalement, être conciliante et n’obligerait en aucun cas ces jeunes à occulter leurs cultures.

Dénigrer les valeurs de sa culture d’origine, conduit souvent à la dérive.

De sérieux problèmes identitaires surgissent dans ces cas-là, et la perte des repères peut avoir des retombées préjudiciables sur les plus jeunes.

La construction de la personnalité des jeunes est une étape cruciale dans ce processus de consolidation de la relation entre parents et enfants. Les approches conflictuelles et autoritaires n’aboutissent généralement pas, tandis qu’une relation basée sur le respect, le dialogue et l’écoute est de nature à établir une meilleure communication.

10 novembre 2015, Selma Régragui

Source : voixdailleurs.com

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