Du 15 octobre au 3 décembre 1983, il s'est déroulé en France un événement fondateur, dont le souvenir s'était estompé : la Marche pour l'égalité et contre le racisme. Ce fut pourtant la première manifestation du genre, la prise de conscience d'une génération de jeunes Français issus de l'immigration en même temps que d'un malaise dans le pays à l'heure où les incidents racistes se multipliaient et où l'on enregistrait les premières victoires électorales du Front national.
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Celle-ci est consécutive à l'été violent qui oppose les jeunes du quartier des Minguettes, dans la banlieue lyonnaise, aux forces de police, affrontements au cours desquels Toumi Djaïdja, président de l'association SOS Avenir Minguettes, est grièvement blessé par les forces de l'ordre. Un curé, Christian Delorme, ainsi qu'un pasteur, Jean Coustil, réagissent aussitôt aux accusations fallacieuses qui mettent en cause le comportement du jeune homme, et lancent un appel à une longue marche pacifiste à travers le pays, assorti de la revendication d'une carte de séjour de dix ans et du droit de vote pour les étrangers.
Ils partent à dix-sept de Marseille, mais, par un prompt renfort, se voient cent mille en arrivant à Paris. Où François Mitterrand en personne les reçoit en délégation.
Trente ans après l'événement, beaucoup d'initiatives le commémorent. L'une d'entre elles est ce film, signé du réalisateur belge Nabil Ben Yadir et distribué par la firme Europacorp sur une envergure qui en signale l'ambition commerciale. Rude gageure, pourtant, que celle qui consiste à concilier justesse historique et sens du spectacle, s'agissant d'un événement suffisamment récent dans le temps et dans l'espace pour concerner l'appréciation d'un grand nombre de ses spectateurs.
UN CÔTÉ « FEEL GOOD MOVIE »
Il faut accorder au réalisateur d'avoir su réunir une équipe d'acteurs servant avec talent ce film choral, depuis Tewfik Jallab dans le rôle du jeune blessé fédérateur des passions, Olivier Gourmet dans celui du curé engagé, Lubna Azabal dans celui d'une pasionaria militante, Philippe Nahon dans la peau d'un retraité bougon au grand cœur, ou encore Jamel Debbouze campant un petit marlou transcendé par la lutte.
Il faut encore donner crédit à Nabil Ben Yadir d'avoir tenté de rendre le ton, l'atmosphère de l'époque, et également esquissé la manière dont le pouvoir socialiste récupérera le mouvement, après avoir vainement tenté de lui couper l'herbe sous le pied.
Cela dit, on reste sur sa faim, pour deux raisons. La première est, malgré tout, le côté feel good movie, « bande de copains qui marchent dans le sens de l'Histoire », bravant le racisme ambiant dans des tunnels musicaux enjoués, et ce jusqu'à la victoire finale, dont on s'étonne qu'elle puisse être aussi naïvement incarnée par l'annonce finale de l'invitation élyséenne.
La seconde est le parti pris d'une reconstitution qui fait semblant de ne rien savoir de sa propre époque. Sans doute le film contient-t-il en creux cette question, puisque personne ne saurait le regarder sans songer à la situation actuelle, à la tentation du repli et du racisme qui caractérise la société française sous l'effet de la crise. Il n'en reste pas moins qu'on aurait aimé que le film s'empare d'une façon ou d'une autre de ce qui s'est déroulé durant les trente ans qui nous séparent de cette marche. On nous répondra que c'est un autre film. Mais c'est peut-être celui qui devait être fait.
26.11.2013, Jacques Mandelbaum
Source : LE MONDE