dimanche 24 novembre 2024 19:48

La nouvelle vie d'anciens travailleurs sans papiers

Membres actifs du grand mouvement de grève de sans papiers de 2009, Adama, Fousseni et Karima ont, depuis, obtenu des titres de séjour.

Tous les trois se concentrent à présent sur d'autres étapes de leur intégration en France.

Karima : « Mon prochain combat, la naturalisation »

Karima, 45 ans, Algérienne, régularisée depuis octobre 2011

« Je suis arrivée en France en janvier 2007 après avoir été institutrice pendant quatorze ans en Kabylie. J'y rejoignais mon ancien mari, qui était en règle. Je pouvais alors avoir sans difficulté un titre vie privée et vie familiale, mais j'ai vite subi un harcèlement moral qui m'a poussée à fuir le domicile conjugal. Mon ancienne belle-famille me recherche et je ne veux pas qu'elle sache ce que je deviens. Cela n'a pas été facile tous les jours. Clandestine, j'étais hébergée chez des amis ou en colocation.

J'ai bien failli devenir SDF. Heureusement, j'ai trouvé du travail dans les services à la personne, auprès des enfants ou de personnes âgées, comme beaucoup de femmes sans papiers. J'avais des fiches de paie, je cotisais. La lutte pour la régularisation a été longue. Sur 200 travailleuses qui ont participé au mouvement en 2009, pour la plupart des femmes seules, comme moi, 48 n'ont toujours pas été régularisées parce qu'elles n'ont pas de feuille de salaire. D'autres nous ont rejoints.

Je continue à les soutenir à travers l'association Femmes égalité. C'est très réconfortant pour nous de savoir que nous ne sommes pas livrées à nous-mêmes. Nous n'avons pas misé sur le chemin le plus simple. Pour gagner des libertés et des droits, nous comptons sur le travail, pas sur une vie familiale qui nous serait imposée. J'en suis bientôt à mon troisième renouvellement de titre de séjour d'un an.

J'ai pu envisager des choses qui n'étaient pas possibles jusque-là. J'ai trouvé un studio à louer dans le 2e arrondissement de Paris. J'ai été admise en formation d'auxiliaire de puériculture pour étendre mes compétences et élargir les possibilités d'emploi. J'aimerais beaucoup travailler dans un hôpital public. Mais pour devenir fonctionnaire de la République, il faut avoir la nationalité française. C'est mon prochain combat. »

Adama : « Ma vie est ici maintenant »

Adama, 31 ans, Sénégalais, régularisé depuis juillet 2010

« Être enfin régularisé, c'était pour moi un premier rendez-vous avec la vie. Un sans-papiers doit se cacher. Il vit avec la peur au ventre, celle de se faire contrôler par la police quand il se déplace. Et puis impossible de revenir au pays. Quand j'ai été régularisé, j'ai enfin pu retourner au Sénégal, après onze années d'absence. Là-bas, je me suis marié.

Je suis maintenant papa d'une petite fille de six mois. J'aimerais bien les faire venir en France, mais j'attends de décrocher un CDI avant de leur dire de me rejoindre. Ma vie est ici maintenant, j'aime la France. Je ne serais jamais allé en Italie, par exemple. C'est à l'école française que je suis allé lorsque j'étais petit. Je suis maintenant intérimaire dans une imprimerie de Pontault-Combault (Seine-et-Marne), au conditionnement des emballages. J'ai été très engagé dans le mouvement de grève des sans papiers dans l'Essonne.

Je n'ai pas abandonné la lutte. Dans le département, il reste 25 anciens grévistes de 2009 qui enchaînent les récépissés de trois mois parce qu'ils n'arrivent pas à obtenir des fiches de paie. Nous continuons à les défendre, même si la mobilisation générale n'est plus là. La préfecture d'Ivry nous autorise à déposer trois dossiers de régularisation tous les quinze jours.

C'est peu, mais j'aide les sans papiers qui viennent dans nos permanences à les constituer. Je connais le travail. Contrairement aux premiers sans papiers en demande de régularisation, comme ceux de l'église Saint-Bernard par exemple, la prochaine génération pourra s'appuyer sur leurs prédécesseurs, techniquement formés à la négociation avec les autorités. »

Fousseni : « Aujourd'hui, je gagne correctement ma vie »

Fousseni, 32 ans, Malien, régularisé depuis janvier 2012

« Bien des choses ont bougé pour moi depuis 2009. J'ai rencontré Aude, avec qui j'ai emménagé porte des Lilas. Je l'ai présentée à ma famille à Kaï, dans le sud du Mali, en mars 2012. Je n'étais pas revenu au pays depuis cinq ans. Ça m'a vidé la tête. De retour en France, je me suis senti comme lavé. Au départ, travailler en France n'était pas un projet pour moi. À la limite, j'aurais aimé y étudier.

La réalité, c'est que ma famille s'est cotisée pour financer un visa tourisme et le billet d'avion. Elle m'a vite mis la pression pour travailler et rembourser, ce que j'ai pu faire en demandant une fausse carte de séjour. Aujourd'hui, je suis coffreur boiseur sur les chantiers de BTP et je gagne correctement ma vie : un peu plus de 2 000 € par mois.

Mais je n'ai pas beaucoup de possibilités d'évolution en tant qu'intérimaire. Je préférerais être embauché en CDI, ce qui me permettrait d'envisager des formations pour devenir conducteur de grue, par exemple. Je me sens bien ici. Je me suis fait des amis. La lutte pour la régularisation m'a changé, aussi. J'y ai pris des responsabilités en tant qu'ancien porte-parole national du mouvement.

Je fais maintenant partie d'un collectif au niveau confédéral de la CGT. Avant le mouvement de 2009, ce collectif n'était composé que de blancs. Je suis fier de ce que nous avons réalisé. Nous n'avons peut-être pas gagné à 100 % mais nous avons fait bouger les choses face à l'administration. Il m'arrive encore de participer aux manifestations, même si ce n'est pas toujours compatible avec mes horaires de travail.

Aujourd'hui, il faut remonter le moral des troupes. C'est une période de déception, alors que beaucoup attendaient un changement après l'arrivée de la gauche au pouvoir. D'anciens militants partent, mais nous commençons aussi à voir arriver de nouvelles têtes. Le mouvement est en sommeil, mais les sans papiers sont toujours là. À tout moment, il peut se réveiller. »

7/6/2013, Jean-Baptiste François

Source : La Croix

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