Face à l'émoi de Lampedusa, les ministres de l'intérieur des Vingt-Huit ont examiné, mardi 8 octobre à Luxembourg, le sujet de l'immigration.
Que fait l'Union pour éviter de tels naufrages à ses portes ?
Pour le contrôle de ses frontières et le sauvetage en mer, l'Union européenne s'appuie surtout sur les opérations de son agence Frontex, créée en 2004. Deux missions ont été lancées au printemps aux frontières italiennes : Hermes, entre l'Italie, Malte, la Tunisie et la Libye, et Aeneas, entre l'Italie et la Grèce. Mais dépendant du bon vouloir des États membres – qui lui prêtent bateaux, hélicoptères et gardes-côtes –, Frontex ne diffuse aucun chiffre sur les moyens de ses missions, pilotées par le pays concerné.
« Frontex n'a ni les pouvoirs ni les compétences d'intervenir en Italie, nous répondons à une demande des autorités nationales », résume la Commission européenne. En outre, « ses moyens sont dérisoires », accuse l'eurodéputé libéral belge Guy Verhofstadt (85 millions d'euros en 2013). Bruxelles assure que 16 000 vies ont été sauvées grâce à ses missions ces cinq dernières années. Et, comme les autres pays, l'Italie reçoit des fonds européens au titre de l'immigration et de l'accueil de réfugiés, estimés à 135 millions d'euros en 2013, dont environ 80 millions pour contrôler ses frontières.
Dès son arrivée mardi 8 octobre à Luxembourg, le ministre italien de l'intérieur, Angelino Alfano, a demandé à ses homologues européens un « plan d'action de l'UE ». Le président de la Commission José Manuel Barroso se rendra mercredi à Lampedusa, avec la commissaire Cecilia Malmström, chargée de l'immigration, qui a proposé, mardi, aux États « d'organiser une grande opération de sécurité et de sauvetage en Méditerranée, de Chypre à l'Espagne » menée par Frontex.
Elle mise sur un élan de solidarité de la part des pays du Nord envers ceux du Sud, en première ligne face aux migrants. Or, l'Allemagne ou la Suède, qui reçoivent plus de demandes d'asile que l'Italie ou le Danemark, ont exclu toute remise en cause d'un règlement de 2003 qui impose aux pays d'arrivée de traiter les demandes d'asile et d'assurer l'hébergement.
Autre refus de l'UE : s'immiscer dans le débat sur la loi italienne Bossi-Fini qui a introduit un délit de l'immigration clandestine. La Commission se dit incompétente. « Il y a une hypocrisie déplorable autour du sauvetage. Des pêcheurs, des collaborateurs de Frontex, des capitaines de grands bateaux ont peur de poursuites pénales et ne font pas tout pour protéger les gens qui sont à la dérive en pleine mer », a réagi l'élue allemande des Verts Rebecca Harms.
À court terme, l'Union mise sur l'efficacité d'Eurosur, un système d'échange d'informations et d'images satellitaires entre gardes-côtes, opérationnel en décembre, pour mieux détecter les embarcations.
Que fait l'Union dans les pays de transit ?
La majorité des migrants qui s'embarquent sur des rafiots en Libye, en Tunisie ou en Égypte ne sont pas originaires de ces pays, mais d'Afrique subsaharienne – Érythrée et Somalie dans le cas des naufragés de Lampedusa. Dans leur périple, souvent effectué à pied, l'Afrique du Nord ne constitue qu'une étape où des passeurs leur proposent des traversées en mer à prix d'or – de 1 000 à 2 000 € entre la Libye et Lampedusa d'après l'Organisation internationale des migrations (OIM). Pour l'UE, la coopération avec ces pays dits « de transit » est donc un maillon essentiel du contrôle de l'immigration illégale, qui fait partie de ses objectifs.
Longtemps, les États ont individuellement fixé leurs règles. À partir de 2006, l'Espagne, qui faisait alors face à des arrivées depuis la Mauritanie, a intensifié son partenariat avec le pays en vue de la surveillance de ses côtes. En 2008, l'Italie a, elle, signé un traité d'amitié avec la Libye, dont une clause permettait à Rome de renvoyer les migrants à Tripoli – dans des conditions dénoncées par les défenseurs des droits de l'homme.
Une coopération européenne, et non d'État à État, avec les pays de transit peine à se mettre en place. La méthode relève du cas par cas. La Commission a signé, en septembre, un accord avec la Libye pour la formation des gardes-frontières. En 2012, elle a lancé des négociations pour un accord de « réadmission » avec la Turquie, zone de transit de plus en plus utilisée. Un tel texte donnerait aux pays européens la possibilité de renvoyer les migrants en Turquie et, en contrepartie, aux ressortissants turcs d'être dispensés de visa pour l'UE. Mais de tels accords, déjà à l'œuvre en Moldavie et en Ukraine, font l'objet de critiques des défenseurs des droits de l'homme, car pouvant donner lieu à des retours expéditifs.
Malgré ses espoirs, l'UE n'a pas conclu d'accord de réadmission avec le Maroc, qui craint de voir les migrants revenir sur son territoire. Elle est en revanche parvenue à signer avec Rabat un « partenariat de mobilité » en juin. Cette nouvelle méthode est censée faciliter l'obtention de visas pour « certaines catégories de personnes (au Maroc, NDLR), étudiants, chercheurs, hommes et femmes d'affaires... » en échange de la reprise des négociations pour un accord de réadmission. De telles négociations sont également en cours avec la Tunisie.
Et dans les pays de départ ?
L'UE considérant la pauvreté, le chômage, les conflits, un régime répressif comme autant d'explications à l'émigration, il lui est acquis que l'aide au développement et le soutien à la défense des droits de l'homme dans les pays de départ est un moyen d'empêcher à la source les tragédies. « L'UE tente d'avoir une approche globale, dont l'une des facettes est le développement », explique Bernd Hemingway, directeur pour l'Europe de l'OIM.
Ainsi la thématique de l'immigration s'immisce-t-elle dans de nombreux projets de développement de l'UE – 400 projets sur la période 2004-2012, soit 1 milliard d'euros, à travers le monde d'après le bureau du Commissaire au développement.
Objectifs : dissuader les départs en améliorant les conditions de vie ou favoriser le caractère légal, et donc moins risqué, de l'émigration. Mais les effets de telles mesures ne peuvent être perceptibles qu'à très long terme. À titre d'exemple, l'UE a ainsi affecté 5 millions d'euros à la protection et à l'assistance – légale, éducation des réfugiés... – au Kenya et à Djibouti en 2010. Un programme surtout destiné aux réfugiés somaliens au Kenya.
La rigidité du système d'obtention des visas pour un État membre de l'UE est aussi l'une des causes de l'émigration illégale, citée par plusieurs ONG. Ainsi préconisent-elles un assouplissement des conditions d'obtention. « La complexité des procédures a pour conséquence que certaines personnes recevant le visa choisissent de rester en Europe après expiration, par crainte de non-renouvellement, explique Shadia El Dardiry, coordinatrice du projet Migrations au sein du Réseau euro-méditerranéen pour les droits de l'homme. Et même quand tous les documents sont produits, les réponses sont souvent aléatoires et, dans le cas des refus, sans explication. » Ainsi la perspective du refus peut-elle favoriser le repli vers la clandestinité.
8/10/13, MARIANNE MEUNIER et NATHALIE VANDYSTADT
Source : La Croix