Une semaine après les élans généreux du pape François fustigeant à Lampedusa «la mondialisation de l'indifférence» envers les migrants clandestins, les immigrés sont redevenus la cible du débat politique en Italie.
Lors de sa visite lundi dernier sur la petite île au large de la Sicile où il était venu «pleurer les morts», le pape argentin, lui-même descendant d'immigrés italiens, avait appelé à davantage de solidarité et un meilleur accueil des migrants.
Ses propos appelant à entendre «les cris d'autrui» ont été applaudis par la présidente de la Chambre des députés, Laura Boldrini, ancienne porte-parole en Italie du HCR (le Haut commissariat des Nations unies aux réfugiés), qui a salué une visite «historique», ainsi que par toutes les organisations humanitaires.
Puis certains politiciens - peu enclins à défendre la laïcité en Italie lorsqu'il s'agit de crucifix dans les écoles, d'avortement ou de mariage gay - ont appelé à une «autonomie» de l'Etat par rapport à l'Eglise.
Reconnaissant le «haut niveau» de la réflexion du pape sur «l'un des plus grands drames du monde contemporain», un député du PDL (droite) de Silvio Berlusconi, Fabrizio Cicchitto, a souligné la différence entre «prédication religieuse» et «gestion par l'Etat d'un phénomène aussi difficile, complexe et insidieux» que l'immigration, marqué notamment par «l'intervention de groupes criminels».
Des élus de la Ligue du Nord, parti régionaliste anti-immigrés, sont allés plus loin, demandant au souverain pontife de «l'argent et des terres pour y mettre tous les +extra-communautaires+» qui arrivent en Europe.
Au-delà du sort des migrants qui risquent leur vie en traversant la Méditerranée, le vice-président du Sénat Roberto Calderoli s'est attaqué à la première ministre noire de l'histoire italienne, Cécile Kyenge, la comparant à un «orang-outan».
Ces propos ont été unanimement condamnés par les politiques - le chef du gouvernement Enrico Letta a parlé de «honte pour le pays», le président Giorgio Napolitano de «barbarie» -, mais aucune mesure n'a été prise à son encontre, et le sénateur a aggravé son cas en précisant qu'il «aimait beaucoup les animaux».
Semblant enfoncer le clou, la Ligue, jugeant que M. Calderoli avait exprimé des excuses, a même annoncé une manifestation contre l'immigration clandestine le 7 septembre à Turin.
Depuis sa nomination, la ministre en charge de l'Intégration, originaire de République démocratique du Congo, dit recevoir des menaces tous les jours.
Selon Mme Kyenge, «on ne peut pas dire» que l'Italie soit raciste mais «il y a visiblement un manque de connaissance de l'autre, des phénomènes migratoires, un manque de culture de l'immigration».
«Par chance, il y a une distance entre le pays réel et le monde de la politique», a souligné Mgr Giancarlo Perego, directeur de la Fondation des évêques italiens pour les migrants.
Le président du groupe du Parti démocrate (PD, gauche) au Sénat, Luigi Zanda, a demandé que la proposition de Mme Kienge pour «le droit du sol» soit adoptée au plus vite.
Historiquement terre d'émigration, l'Italie attire de plus en plus d'étrangers. Le pays se souvient des vagues d'immigrés en provenance d'Albanie en 1992. Et depuis les révolutions en Tunisie et en Libye, des flux de migrants, pour la plupart venant d'Afrique sub-saharienne et transitant par ces pays, ne cessent d'arriver sur ses côtes.
En dix ans, de 2002 à 2012, la part des immigrés dans la population du pays a triplé, atteignant 7,9%, selon le ministère de l'Emploi.
Lundi, au cours d'une rencontre à Rome, le Premier ministre italien et son homologue maltais, Joseph Muscat, ont appelé l'Union européenne à l'aide.
M. Muscat, qui avait menacé la semaine dernière de renvoyer en Libye les migrants clandestins avant d'être tancé par la commissaire européenne en charge des Affaires intérieures, Cecilia Malmström, a jugé la situation sur sa petite île «insoutenable», regrettant qu'il n'existe pas «de règles européennes pour repousser ou faire continuer» leur voyage aux immigrés.
«Le problème de l'immigration clandestine doit être géré surtout à travers des politiques efficaces et de coopération dans les pays de provenance, en Libye et là où le flux migratoire est massif», a renchéri son hôte.
Pour ce représentant de l'aile chrétienne démocrate au sein de la gauche, il faut «mettre en pratique l'appel lancé par le pape à Lampedusa qui est fondamental pour nous: ce +plus jamais ça+».
Selon le HCR, une quarantaine de personnes ont péri depuis le début de l'année, la plupart par noyade, en essayant de gagner l'Italie depuis l'Afrique du Nord, contre 500 l'année précédente.
15 juillet 2013
Source : Libération/ AFP