lundi 25 novembre 2024 01:23

Les émeutes remettent en question le modèle d'immigration singapourien

Les récentes émeutes d'immigrés qui ont profondément choqué Singapour ont contraint la capitale financière à s'interroger sur la place qu'elle accorde aux nombreux travailleurs étrangers dont dépend sa richesse.

Les images télévisées ont autant surpris que heurté les Singapouriens, dont le goût pour l'ordre est souvent considéré comme obsessionnel: des voitures calcinées, des scènes de batailles rangées avec les forces de l'ordre, des ambulances emportant les blessés.

Le 8 décembre, environ 400 immigrés du sous-continent indien ont manifesté leur colère dans le quartier de "Little India" ("La Petite Inde"), après la mort d'un des leurs dans un accident de bus.

Trente-neuf personnes ont été blessées et 25 véhicules brûlés ou endommagés, selon la police.
Ces violences, les premières à secouer la paisible cité-Etat depuis les émeutes raciales de 1969, ont suscité une vague d'accusations, parfois teintées de racisme, à l'encontre de la communauté étrangère à Singapour.

Près de 4.000 immigrés ont été interrogés et 33 Indiens ont été inculpés lors d'une vaste campagne de répression qui a suivi les incidents.

Le Premier ministre singapourien Lee Hsien Loong a ordonné "la sévérité" contre les fauteurs de trouble mais il a rappelé que Singapour "a besoin des travailleurs étrangers".

"Si nous ne les avions pas, nous ne serions pas capables de réaliser nos projets de construction de logement, ou de transports publics, et les Singapouriens seraient durement touchés", a-t-il déclaré jeudi.

30% de la population est étrangère

Parmi les quelque 5,4 millions d'habitants que compte Singapour, 3,84 millions sont des citoyens ou des résidents permanents. Près de 30% de la population est donc constituée d'étrangers, soit une des proportions les plus élevées au monde.

Parmi les 1,55 million d'étrangers, la richesse, parfois immense, des expatriés travaillant dans les tours de verre et d'acier de la capitale financière fait souvent oublier la situation des quelque 700.000 immigrés peu qualifiés disposant d'un permis de travail et qui s'entassent dans les dortoirs de Little India par exemple.

Les étrangers représentent 80% de la main-d'oeuvre dans le bâtiment-travaux publics (BTP) et 50% dans les services, selon des chiffres des chambres syndicales concernées.

Selon les dernières données officielles, les résidents étrangers et les sociétés étrangères ont contribué à hauteur de 44% au Produit intérieur brut de Singapour en 2011.

Mais leur présence fait régulièrement l'objet de critiques, en particulier de la part de la majorité d'ethnie chinoise, qui forme les trois-quarts de la population, devant les Malais (13,4%) et les Indiens (9,2%).

Des projets visant à réduire le nombre des étrangers font ainsi régulièrement surface, et vont être encore plus d'actualité après les émeutes.

"La population va s'attendre à ce que le nombre de travailleurs étrangers soit encore réduit", estime Eugene Tan, professeur de droit à la Singapore Management University. La gestion de la "nombreuse main-d'oeuvre étrangère est dorénavant un défi encore plus difficile à relever", avertit-il.

Les militants proches des immigrés ont appelé à profiter de ces émeutes pour faire connaître les conditions de vie des travailleurs étrangers, souvent déplorables selon eux.

"La réponse à ces émeutes ne devrait pas être des mesures plus oppressives mais une enquête en profondeur sur les facteurs sous-jacents", estime Shelley Thio, de l'ONG "Transient Workers Count Too" (TWC2, "Les travailleurs en transit eux aussi comptent").

Le salaire mensuel moyen d'un travailleur du BTP est de 900 dollars de Singapour (520 euros), une misère quand on le compare au PIB par habitant qui est de 65.048 SGD (37.700 euros), soit un des plus élevés au monde.

Les émeutes du 8 décembre sont intervenues un an après une grève, la première à survenir à Singapour depuis 1986, lancée par des chauffeurs de bus chinois qui demandaient notamment la désinfection de leurs dortoirs, contaminés par des punaises.

"La vie à Singapour n'est pas facile", concède à l'AFP Chinnaiyah Maarimuthu. Mais cet Indien travaillant dans le BTP n'est pas prêt de quitter ce qui reste pour lui un eldorado.

"On peut gagner plus qu'en Malaisie ou à Dubaï. On est tous là pour faire de l'argent et améliorer la vie de nos familles".

16 déc 2013, Bhavan JAIPRAGAS

Source : AFP

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