Contrairement à une idée reçue, les élèves issus de l'immigration, à milieu social équivalent, ont souvent de meilleurs résultats scolaires que les enfants de parents français.
La cité et le cliché. Ces deux-là s'attirent et se repoussent, comme un vieux couple qui se fait du mal. Selon un poncif dévastateur, les élèves issus de l'immigration réussiraient moins bien à l'école que ceux dont les parents sont français. Ils seraient plus assidus dans les halls d'immeubles que dans les salles de cours. Une première statistique brute fournie par l'Insee paraît confirmer ce décrochage : 61 % des enfants d'immigrés obtiennent le bac, contre 68 % pour les Français "de souche".
Une inégalité qui s'exprime d'abord dans la compréhension du système scolaire : "Les parents d'origine française connaissent bien mieux les rouages de l'Education nationale, et cela leur donne un avantage lors de l'orientation", explique Yaël Brinbaum, sociologue au Centre d'études de l'emploi et coauteure d'une étude de l'Institut national d'études démographiques (Ined) sur la réussite scolaire des enfants d'immigrés.
Mais, comme souvent en économie, il faut soulever le couvercle pour ne pas faire d'erreur d'interprétation. Ces chiffres ne tiennent pas compte de l'origine sociale des descendants d'immigrés : 66 % ont au moins un parent ouvrier, contre seulement 39 % des enfants sans ascendance étrangère. Il faudrait donc comparer deux populations (immigrés et non-immigrés) issues des mêmes catégories socioprofessionnelles.
Un fils d'ouvrier immigré chez Renault avec un fils d'ouvrier agricole "de souche". Un enfant de cadre supérieur marocain avec une fille de dirigeante issue des beaux quartiers. Verdict : les inégalités scolaires tendent alors à disparaître, et parfois même s'inversent ! Le capital intellectuel et culturel des parents, si cher au sociologue Pierre Bourdieu, influence donc les niveaux d'études. Et peu importe l'origine des parents. Le social prime sur la provenance.
L'aspiration à l'ascension sociale compense les "dons acquis"
La preuve en chiffres, toujours sur la foi de l'Ined : à origine sociale équivalente, un garçon tunisien ou marocain a 20 % de chances de plus d'obtenir son bac que son camarade non immigré. Pour une fille, la probabilité de décrocher le diplôme monte même à 80 %. L'Asie du Sud-Est produit des prodiges qui surpassent facilement les Français d'origine.
"On focalise toujours sur les échecs, s'indigne Yaël Brinbaum, alors que les réussites sont nombreuses." Certaines populations rencontrent toutefois davantage de difficultés. Seulement un tiers des enfants d'immigrés turcs deviennent bacheliers, ce qui les place en situation de sous-réussite, tout comme les Algériens, les Sahéliens ou les Portugais. En cause, une orientation précoce vers des filières plus courtes dites qualifiantes.
La leçon : le déterminisme des origines n'existe pas, et les parents immigrés inculquent à leurs enfants des désirs de réussite comparables à ceux des non-immigrés : à la sortie du lycée, 86 % des jeunes issus de l'immigration envisagent des études supérieures, contre 77 % pour les autres élèves. Ces aspirations à la réussite et à l'ascension sociale compensent alors largement les très bourdieusiens "dons acquis", symboles d'une éducation fondée sur la transmission du capital culturel et non sur l'instruction.
Mais c'est ensuite que les choses se gâtent. Le système éducatif français, perçu comme un moyen d'intégration et de mobilité sociale pour les familles d'immigrés, laisse souvent les plus méritants sur leur faim. Une situation en partie due au marché du travail : "Il y a toujours des discriminations à l'embauche, rappelle Yaël Brinbaum. Le diplôme protège du chômage, mais l'accès à l'emploi est plus difficile que pour les jeunes Français d'origine." Si les inégalités scolaires s'estompent, la route vers l'équité est encore longue.
02/09/2013, Timothé Goupil
Source : l'express.fr