lundi 25 novembre 2024 00:03

«Les Etats doivent garantir le droit des migrants en mer»

Quatre mille migrants décédés depuis quatre ans en mer Méditerranée en tentant de rejoindre l'Europe. Le chiffre est édifiant, renforcé par la récente tragédie au large de Lampedusa. Et face à l'émoi, beaucoup de questions et des réflexions. Si tout le monde convient que les Etats se doivent d'agir, la concertation et l'action semblent difficiles à mettre en œuvre. Clémence Racimora, responsable de la Commission solidarités internationales à la Cimade (Comité inter-mouvements auprès des évacués) propose son analyse.

RFI: Pour bien que l'on comprenne, quels sont les moyens actuellement en vigueur à la fois pour le contrôle des frontières et les sauvetages en mer ?

Clémence Racimora: En ce qui concerne le contrôle des frontières européennes, on parle beaucoup ces derniers temps de l'agence Frontex, c'est l'agence qui coordonne le travail de contrôle des frontières extérieures de l'Union européenne. Elle existe depuis 2005 et ses moyens n'ont cessé d'augmenter d'ailleurs depuis cette année-là, même s'il y a eu une baisse l'année dernière due à la crise. Mais pour remettre les choses dans leur contexte, c'est une agence qui est dotée de moyens considérables.

Et qui ont été renforcés. Hier, deux millions d'euros supplémentaires ...

En effet, d'autant qu'il y a eu des appels en ce sens. Mais il ne faut pas se méprendre, Frontex c'est avant tout une agence de surveillance, de contrôle, d'interception des migrants que ce soit en mer ou sur les frontières terrestres de l'Union avec un travail important effectué en Grèce, point d'entrée majeur au niveau des frontières terrestres. Certes, lors de ces opérations maritimes, l'agence Frontex peut être amenée à trouver des personnes qui sont en perdition. Mais ce n'est nullement sa mission première lorsqu'on regarde vraiment le contenu du règlement de l'agence. En plus, il y a un vrai problème de transparence par rapport à la situation de ces personnes une fois qu'elles ont été interceptées par Frontex. On ne sait pas très bien qui va en être responsable. Est-ce l'agence elle-même ? Est-ce le pays dans lequel le bateau a été repêché dans ses eaux territoriales ? Il est même arrivé que des migrants soient renvoyés vers leur pays d'origine, en l'occurrence la Libye, après avoir été interceptés par une patrouille de Frontex.

C'est là-dessus que les dispositifs semblent vraiment ne pas fonctionner. Pourquoi autant d'impuissance ?

Déjà parce qu'il y a une approche de ces migrations erronée. Ces personnes qui prennent la mer le font au péril de leur vie, elles le font en général après un parcours migratoire extrêmement long et périlleux, bien souvent à travers le désert pour remonter le territoire libyen. Au risque de leur vie. Il faut savoir qu'en Libye, la situation des migrants est absolument catastrophique avec des enfermements sans base légale pendant des mois, des mauvais traitements, du travail forcé, voir de l'esclavage. Elles sont donc à bout, il s'agit de la dernière extrémité, elles n'ont plus le choix. Suite à la guerre en Libye, de nombreuses personnes se sont réfugiées en Tunisie et parmi ces personnes, certains sont encore dans le camp de Choucha, qui a fermé officiellement au mois de juillet. Il n'y a plus aucune infrastructure pour appuyer ces personnes-là, dont certaines ont été reconnues réfugiées par le HCR (Haut Commissariat de l'ONU pour les réfugiés). Et aujourd'hui les informations que nous avons depuis Choucha sont que les personnes sont tellement désespérées de ne voir aucune évolution de leur situation administrative qu'elles repartent en Libye pour prendre des bateaux et tenter de re-traverser la Méditerranée.

Il en va aussi de la responsabilité des pays africains. Que peuvent-ils faire ?

On parle de personnes qui fuient la guerre, des zones de conflit. On parle aussi de personnes qui vont fuir pour des raisons économiques. Evidemment il y a une responsabilité des pays de départ qui, pour certains, ne présentent pas les garanties suffisantes, notamment si on parle des demandeurs d'asile ou des réfugiés, puisqu'il y a des pays qui ne reconnaissent toujours pas la convention de 1951 sur les réfugiés, voire qui n'autorisent pas la présence du HCR sur leur territoire, c'est le cas de la Libye. Et si on prend l'exemple de la Tunisie, il n'y a aujourd'hui toujours pas de loi sur l'asile en Tunisie. Donc très concrètement, les demandeurs d'asile ne sont pas protégés. La loi n'a pas changé depuis la révolution tunisienne. Résultat : sur le papier, on criminalise encore l'immigration irrégulière. De fait, le problème est aussi du côté des pays de départ qui sont souvent aussi des pays de transit, puisque les personnes vont transiter par le nord de l'Afrique.

Certaines ONG préconisent aussi un assouplissement des visas pour éviter l'immigration illégale. Ce peut être une solution ?

Bien évidemment, c'est ce que nous, à la Cimade, nous préconisons et on l'a dit avec force concernant les réfugiés syriens. Aujourd'hui, il y a des Syriens aussi qui traversent la Méditerranée sur des embarcations de fortune au péril de leur vie parce qu'ils ne peuvent pas rentrer dans une ambassade d'un pays européen pour demander un visa et venir légalement en Europe. On a même rétabli les visas pour les Syriens en France, alors même que c'est le seul moyen pour eux d'entrer légalement sur le territoire et de demander l'asile. Très concrètement, si les personnes ne peuvent pas rentrer sur le territoire européen et qu'elles considèrent que leur vie est menacée, la seule solution qui leur reste, ça va être de passer de manière illégale et ça va entretenir tous ces réseaux de traite des personnes dont on parle, qui sont bien le résultat et la conséquence de ces politiques européennes extrêmement fermées.

Quels sont les objectifs principaux sur lesquels devraient se concentrer les Etats ?

Déjà assurer absolument et en tout temps la défense des droits des migrants en mer et l'actualité prouve le contraire. Malheureusement ce n'est pas nouveau, il y a déjà eu des naufrages au même endroit que celui de la semaine dernière. Il faut donc absolument garantir que le droit de la mer est respecté et que ce qui est avant tout vu comme une embarcation de migrants en perdition, n'est non pas une embarcation de clandestins comme on entend trop souvent ce terme, mais qu'il s'agit bien de personnes qui ont besoin d'être secourues, de boat-people. Il y a d'autres époques où on a montré beaucoup plus de solidarité, beaucoup plus d'empathie par rapport à ces personnes-là. Donc aujourd'hui il faut absolument garantir le droit des migrants en mer et, bien évidemment, dans les pays de départ et les pays d'arrivée.

9/10/2013, Alexandra Cagnard

Source : rfi.fr

Google+ Google+