dimanche 24 novembre 2024 23:45

Les indépendantistes raniment la querelle sur la laïcité au Québec

Le gouvernement indépendantiste québécois a publié sa Charte sur les valeurs québécoises visant à promouvoir la laïcité.

Le projet qui était déjà attendu avec de fortes réserves est très critiqué dans le pays. Il pourrait ne pas être adopté au Parlement québécois.

Après des semaines de fuites ayant déjà entraîné des débats houleux, le gouvernement indépendantiste a dévoilé mardi 10 septembre sa Charte des valeurs québécoises sous la forme de cinq propositions pour promouvoir la laïcité. À peine annoncée, les réactions, le plus souvent défavorables, se sont fait entendre.

« La meilleure façon de respecter tous les Québécois, la meilleure façon de respecter toutes les croyances et toutes les religions, c'est que l'État n'ait aucune religion. L'État québécois doit être neutre, laïque et le principe de la séparation entre la religion et l'État doit être inscrit et affirmé », a déclaré le ministre québécois des institutions démocratiques, Bernard Drainville, chargé du dossier.

neutralité pour tous les fonctionnaires

La première proposition vise à « modifier la Charte québécoise des droits et libertés de la personne », en y inscrivant la neutralité religieuse de l'État et le caractère laïque des institutions publiques.

La deuxième énonce un devoir de réserve et de neutralité incombant au personnel de l'État. « La neutralité politique est déjà demandée aux fonctionnaires, nous proposons que la neutralité religieuse s'applique à toute personne au service de l'État », a assuré Bernard Drainville. En définitive, les fonctionnaires devraient « s'abstenir de faire la promotion de leurs croyances religieuses dans le cadre de leurs fonctions ».

Dans sa troisième proposition, le gouvernement a confirmé son intention d'interdire le port de signes religieux ostentatoires, comme le foulard islamique, la croix chrétienne, le turban sikh et la kippa juive dans les institutions publiques – interdiction qui ne concernerait pas néanmoins les universités, les établissements publics de santé ou de services sociaux et les municipalités.

maintien du crucifix chrétien à l'assemblée nationale

Les « petits signes » tels que des pendentifs, des bagues ou des boucles d'oreilles munies d'une croix, d'une étoile de David ou encore du croissant islamique seront toutefois tolérés. Paradoxalement, le gouvernement refuse de retirer le crucifix chrétien suspendu au-dessus du siège du président de l'Assemblée nationale à Québec, arguant qu'il fait partie du « patrimoine culturel » et de l'histoire de la province.

Le Québec souhaite que les services de l'État soient donnés et reçus à visage découvert. Enfin, il espère que les ministères et organismes publics se dotent « d'une politique de mise en œuvre, qui permettra à la fois d'assurer la neutralité religieuse, tout en respectant sa mission particulière ».

Le gouvernement canadien de Stephen Harper a fait savoir qu'il pourrait contester devant les tribunaux la Charte des valeurs québécoises si jamais un projet de loi en ce sens était adopté. « Nous sommes préoccupés, bien sûr, par les propositions qui limiteraient le droit de toute personne de pratiquer sa religion », a indiqué le porte-parole politique de Stephen Harper au Québec, et ministre des affaires intergouvernementales, Denis Lebel.

Il a réitéré l'importance pour l'État fédéral que « partout au pays » les gens puissent vivre et être respectés selon leurs traditions, leur origine ethnique et leur religion.

favoriser un « climat d'équité »

Dans la classe politique québécoise, les réactions ont été aussi très mitigées, les candidats à la mairie de Montréal, métropole cosmopolite par excellence, étant unanimement opposés à ces nouvelles règles.

Cette charte se veut une réponse « à la crise des accommodements religieux » consentis à des membres de minorités ethniques « qui a secoué le Québec il y a plus de cinq ans et créé des tensions entre les Québécois de différentes origines et confessions », a soutenu Bernard Drainville. « C'est pour favoriser un climat de confiance, d'harmonie et d'équité au Québec que nous présentons cette proposition », a ajouté le ministre.

Avec cette charte, le gouvernement de Pauline Marois donne aussi suite au rapport Bouchard-Taylor – du nom de l'historien et sociologue Gérard Bouchard et du philosophe Charles Taylor – resté quasiment lettre morte depuis sa publication le 28 mai 2008. Mais selon les auteurs, elle serait très éloignée de l'esprit des recommandations faites dans le rapport.

« le projet vise des minorités »

« J'ai une vision assez critique de ce projet, qui pose pour moi un problème de droit fondamental, parce qu'on s'apprête à restreindre ou à supprimer le droit fondamental, sans pouvoir s'appuyer sur ce que j'appelle un motif supérieur qui pourrait passer le test des tribunaux, a réagi Gérard Bouchard à la télévision publique Radio Canada. Il me semble que ce projet de loi vise des minorités, des catégories très spécifiques de notre population qui seront privées de droits fondamentaux. »

Cette charte fera l'objet d'un projet de loi qui sera présenté cet automne au Parlement. Mais son adoption est loin d'être acquise, le Parti québécois (PQ) au pouvoir étant minoritaire.

Les évêques demandent un « débat serein, respectueux et franc »

Le président de l'Assemblée des évêques catholiques du Québec, Mgr Pierre-André Fournier, a réagi aux propositions du gouvernement québécois dès sa publication en saluant un « document d'orientation substantiel, qui démontre le sérieux avec lequel le gouvernement désire aborder et alimenter la discussion. Le débat est donc lancé, sur la base de propositions concrètes. Nous encourageons tous les Québécois et Québécoises à prendre le temps nécessaire pour se faire une opinion sans précipitation et après une bonne réflexion. Quelles que soient les différences d'opinion, il faut absolument un débat serein, respectueux et franc. Nous invitons également tout le monde à prendre part ensuite aux consultations qui ont cours » , a poursuivi Mgr Fournier.

Il a rappelé que « la laïcité est une notion qui s'applique à des institutions, et non à la société dans son ensemble ». Le président de l'Assemblée des évêques lance enfin une mise en garde, soulignant qu' « il ne faut pas confondre, comme il arrive parfois dans le vif des débats, laïcité et opposition à la religion » .

11/9/13, Agnès CHAPSAL

Source : La Croix

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