lundi 25 novembre 2024 01:53

Les injures racistes, symptôme d'une crise identitaire

Alors que la ministre de la justice a été la cible de graves attaques racistes, le gouvernement et le monde associatif et syndical organisent la riposte.

Le racisme, un fléau qui progresse

Vendredi dernier, une conseillère municipale UMP de Combs-la-Ville (Seine-et-Marne), Claudine Declerck, a posté sur son profil Facebook une image de la ministre de la justice assortie de cette légende : « Y'a pas bon Taubira ». Des propos aussitôt condamnés par le président du groupe UMP à l'Assemblée nationale, Christian Jacob, qui va proposer l'exclusion de l'élue. Ce dérapage est le dernier épisode en date d'une séquence qui a vu Christiane Taubira faire l'objet d'attaques racistes inédites.

le « sursaut républicain »

Les responsables politiques, qui avaient tout d'abord peu réagi, ont multiplié la semaine dernière les condamnations et cherchent maintenant à organiser le « sursaut républicain ». Comme l'a souligné la garde des sceaux, au-delà de sa personnalité, ce sont tous les citoyens noirs qui ont pu se sentir humiliés.

Ancien délégué interministériel pour l'égalité des chances des Français d'outre-mer sous Nicolas Sarkozy, l'UMP Patrick Karam estime ainsi que des « barrières sont tombées », permettant l'expression « d'un racisme décomplexé ». Président du Conseil représentatif des associations noires (Cran), Louis-Georges Tin dénonce, lui, « les actes de discriminations au quotidien pour la recherche d'un travail ou d'un appartement » dont sont victimes les Noirs en France.

la critique d'un propos « accusatoire »

Dans le même temps, plusieurs voix s'élèvent pour souligner les risques qu'il y aurait à surinterpréter le phénomène. Myriam Cottias, présidente du Comité national pour la mémoire et l'histoire de l'esclavage, estime ainsi « qu'il n'est pas légitime de parler d'une France raciste ». Chercheuse au CNRS, elle critique un propos « accusatoire » dont l'effet paradoxal est d'enfermer Blancs ou Noirs dans des catégories et de renforcer les revendications identitaires qu'il prétend combattre.

« Je ne signerai pas un texte pour dénoncer le racisme anti-Noir. S'il faut se mobiliser aujourd'hui, c'est pour dénoncer toutes les formes de rejet et insister sur un projet de société égalitaire, anti-communautaire. »

Président de la Licra, l'avocat Alain Jakubowicz avait créé la surprise au printemps dernier en portant pour la première fois son organisation partie civile aux côtés de la victime d'un acte de « racisme anti-Blanc ». Sans vouloir mettre toutes les discriminations à même niveau, il expliquait qu'une culpabilisation à sens unique de certains citoyens faisait le jeu de l'extrême droite.

Une augmentation du racisme

Alors que le dernier rapport annuel de la Commission nationale consultative des droits de l'homme (CNCDH) montre une augmentation de toutes les formes de racisme, Alain Jakubowicz dénonce la « crise morale » qui frappe la société. « Au sommet de l'État, des politiques se sont mis à parler comme les gens de la rue. On voit des radios tendre complaisamment le micro aux auditeurs et le "parler cash" envahir les plateaux de télévision. On a libéré la parole ! », regrette-t-il.

Il y a quelques jours, en séance, le président du Conseil économique, social et environnemental (Cese), Jean-Paul Delevoye, a tenu en substance ces propos : le XXe siècle fut celui de l'opposition des races, le XXIe siècle sera celui de la confrontation des religions.

lutte des identités et lutte des classes

Pour cet observateur avisé de la France, notre pays a de plus en plus de mal à « gérer sa diversité culturelle, religieuse » et les citoyens sont tentés par les replis communautaires. « La lutte des identités est en train de remplacer la lutte des classes », insiste le président du Cese, qui plaide pour l'ouverture d'une vraie réflexion sur la question identitaire et les menaces que font peser sur la collectivité tous les intégrismes.

De son côté, le spécialiste de l'extrême droite Jean-Yves Camus invite à ne pas surévaluer la portée de ce que représente réellement le racisme : « Par rapport aux centaines de milliers de manifestants contre le mariage pour tous, le rassemblement de quelques dizaines de personnes à Angers n'était qu'une queue de comète » (1).

des accusations « d'angélisme »

Dans les grands défilés de « La manif pour tous », les dérapages racistes ont été plus que rares. Une fois, l'image de la ministre dessinée en « King Kong » a surgi, avant d'être vite retirée. Le blogueur catholique Erwan Le Morhedec, très actif pendant tout le mouvement, assure ne pas être le témoin, sur Internet, d'un déferlement haineux. Lui-même a récemment consacré sur un billet à la défense des Roms. « J'ai bien essuyé quelques accusations d'angélisme mais pas plus », explique cet avocat. Quant au journal Minute, qui a récemment repris en Une les injures racistes sur la ministre, Jean-Yves Camus rappelle qu'il ne tire « qu'à 3 000 exemplaires ».

Une réponse multiforme au progrès du racisme

27 novembre : meeting du PS à La Mutualité pour la « défense de la République contre les extrémismes », en présence des ministres Manuel Valls, Christiane Taubira et Vincent Peillon.

30 novembre : marche dans toute la France à l'appel d'associations antiracistes (Mrap, LDH, SOS Racisme), de syndicats (CGT, CFDT, Unsa, FSU...), de collectifs d'ultramarins (CollectifDom, CM 98) pour « faire barrage au racisme ».

2 décembre : soirée de mobilisation « contre la haine » organisée par la ministre de la culture, Aurélie Filippetti, au théâtre du Rond-Point à Paris.

7 décembre : manifestation à Paris à l'appel d'un collectif d'associations d'immigrés pour marquer les 30 ans de la « Marche des beurs ».

8 décembre : « Marche des républicains » à Paris, à l'initiative de jeunes socialistes ralliés par de jeunes militants UMP et UDI.

18/11/2013, BERNARD GORCE

Source : La Croix

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