dimanche 24 novembre 2024 21:00

Les Marocains résidant à l’étranger : un rôle économique de premier plan

Organisation à Rabat, du 16 au 19 mai, d'une conférence internationale sur la migration, interpellation du chef du gouvernement, Abdelilah Benkirane, par les conseillers au sujet de la situation de nos compatriotes vivant à l'étranger, sortie médiatique du ministre délégué chargé des Marocains résidant à l'étranger (MRE), Abdellatif Maâzouz, au sujet des compétences nationales établies à l'étranger, publication d'une étude sur les étudiants marocains en France...

Bien que vivant à des milliers de kilomètres de la mère patrie, les MRE font l'actualité au Maroc. Quelles mutations a connues la physionomie du flux migratoire marocain ? Combien sont-ils à vivre actuellement à l'étranger ? Quel est leur poids social ? Quel est leur apport à l'économie nationale ? Dans quels secteurs investissent-ils ? Combien sont-ils à retourner au pays de leurs parents ? Enquête.
Plus de trois millions de nos compatriotes vivent à l'étranger. Ne prenant en considération que les migrants inscrits dans les consulats respectifs des pays d'accueil, ce chiffre pourrait être revu à la hausse. Un rapport publié cette année par la Fondation européenne pour la formation (ETF), agence de l'Union européenne qui fournit des conseils aux pays partenaires, parle de quatre millions et demi de Marocains résidant à l'étranger (MRE). Si les raisons historiques et économiques de ce flux migratoire sont établies (protectorat français, recherche d'un meilleur niveau de vie...), il reste que la physionomie de cette migration a considérablement changé ces dix dernières années.
À en croire les statistiques de 2010 du ministère chargé des Marocains établis à l'étranger, la communauté marocaine résidant à l'étranger représente plus de 10% de la population totale du pays et évolue à un rythme jamais constaté par le passé, en enregistrant une hausse voisine de 100% en une seule décennie, peut-on lire dans le préambule du rapport intitulé «Élaboration d'une stratégie de renforcement des politiques relatives à la mobilisation de l'épargne des MRE au profit de l'économie nationale», réalisé il y a trois ans de cela par le même ministère. Ce dernier note qu'«au cours de la période 1993-2007, la CMRE est passée de 1 549 297 à 3 371 526 ressortissants, enregistrant ainsi un taux de progression de 112,5% en 12 ans seulement, soit un rythme jamais constaté par le passé».
Par continent d'accueil, l'Europe arrive en tête avec 86,18% des MRE, les pays arabes en reçoivent 8,5%, suivis de l'Amérique avec 4,90%. Les pays de l'Afrique subsaharienne n'accueillent que 0,25% des Marocains ayant choisi de vivre à l'étranger ou qui y sont nés, alors que l'Asie et l'Océanie en comptent 0,2%. La France reste le premier pays où vivent les MRE : 86,18% des MRE établis en Europe vivent en France, à en croire les statistiques établies par le département d'Abdellatif Maâzouz. Cette même source précise que «la destination privilégiée des migrants marocains demeure les pays de l'Union européenne, second foyer mondial d'immigration après l'Amérique du Nord». Selon la fondation européenne déjà citée, si on observe la répartition géographique des départs du Maroc, la région d'Agadir arrive en tête avec 52% des personnes ayant l'intention d'émigrer, la région de Marrakech arrivant en deuxième position (49%).
Femmes et compétences, les nouveaux profils du migrant marocain
Cependant, au-delà des chiffres et de leur évolution, le flux migratoire des Marocains change également de physionomie. Cette mutation s'est accentuée cette dernière décennie. Ce changement porte essentiellement sur deux aspects : la féminisation de la migration et l'apparition de hauts cadres dans les différents secteurs de la recherche scientifique, de l'industrie et dans le monde des affaires. Au sujet du premier aspect, la Fondation européenne pour la formation note que : «la migration marocaine s'est féminisée, d'abord par suite du regroupement familial et ensuite du fait de l'augmentation du nombre des Marocaines qui émigrent soit avec leur famille, soit seuls en étant à la recherche d'une vie meilleure, surtout en termes économiques. Les femmes représentent aujourd'hui environ 40% de la migration marocaine», indique la fondation.
Le Maroc au troisième rang mondial d'émigration des compétences
Sur le plan intellectuel, la qualification de ce phénomène émane du premier responsable, Abdellatif Maâzouz. Dans une récente déclaration, qui date du 10 mai, ce dernier estime à «17% le taux de MRE actifs qui exercent dans des professions scientifiques, intellectuelles et managériales très qualifiées». À l'ouverture d'un séminaire ayant pour thème «La recherche et l'innovation au service du développement industriel au Maroc : quel rôle pour les compétences marocaines à l'étranger ?» le ministre a également précisé que 54% des MRE s'activaient dans des emplois intermédiaires dans des domaines tels que l'enseignement, la santé, la communication, la gestion et le commerce. Cette avancée des hautes compétences se fait bien évidemment au détriment des postes ne requérant aucune qualification.
Ces emplois ne représentent en effet plus que 28% de l'effectif, alors qu'ils constituaient l'essentiel du travail confié au MRE dans les années 1960. «Si le Maroc est classé au troisième rang mondial, avec 17% en termes de taux d'émigration des compétences qualifiées, il est certain qu'une politique efficace de mobilisation des compétences peut ralentir cette évasion et même en inverser la tendance en la rendant plus profitable au Royaume». À ce phénomène de «diplomatisation» des migrants, ETF croit avoir une explication : «Les personnes avec un niveau d'éducation plus élevé ont un meilleur accès à différents éléments (information, documents de voyage, ressources financières, etc.) qui facilitent la réalisation du projet migratoire, d'où leur plus grande propension à émigrer. Cela confirme la tendance à l'augmentation des concentrations des personnes qualifiées dans la communauté émigrée par rapport à la population totale vivant à l'intérieur du Maroc». Dans son étude sur le potentiel migratoire au Maroc, cette agence fixe à 13% le taux des diplômés du supérieur qui ont exprimé leur volonté de migrer. Ceux ayant un niveau moyen représentent 19% des migrants potentiels. «L'intention d'émigrer est plus forte chez les jeunes (...) Le statut marital et le fait d'avoir des enfants sont en corrélation négative avec le projet d'émigrer», écrit cette même agence de l'Union européenne. Ainsi, même si le flux migratoire continue avec une tendance haussière, le profil du MRE change en faisant la part belle aux diplômés et aux femmes. Selon différentes sources consultées pour les besoins de ce sujet, les Marocains qui vivent hors des frontières nationales gardent des liens indéfectibles avec leur pays d'origine. S'il est aisé de quantifier cet attachement ombilical par les statistiques des envois d'argent et leur évolution dans le temps, il est en revanche plus délicat de mesurer l'aspect social que jouent nos compatriotes de l'étranger. Cependant, un éclairage est toujours possible.
Transfert d'argent : les MRE premiers en France et cinquièmes à l'international
Qui mieux que cette appréciation du ministère des MRE peut illustrer cet attachement : «Tout au long de leur séjour à l'étranger, les MRE confectionnent un système de liens économiques solides, voire très solides, avec le pays, partant du fait que la migration est d'abord
un comportement actif qui s'inscrit dans le cadre d'un projet économique, dont la finalité est de maximiser l'épargne, donc les transferts vers le pays». Ces transferts d'argent connaissent une progression continue. Entre 1974 et 2008, le montant transféré par les MRE à leur pays d'origine a crû de manière exponentielle : «Ce volume est passé de 1 milliard 557,2 millions de DH en 1974 à 53 milliards 680,7 millions de DH en 2008», affirme le ministère des MRE. Cependant, cette évolution positive cache en fait des variations durant certaines phases de la période indiquée. La première décroissance est intervenue en 1982 (-2,4%), mais le recul enregistré en 1988 est plus significatif : -19,4%. En revanche, une forte augmentation a été enregistrée en 1990 (+45,80%). La décennie 1990 se caractérise surtout par une quasi-stagnation du volume des transferts de fonds des MRE. «Deux phénomènes semblent expliquer cette stagnation : la tendance à l'installation définitive des nouvelles générations dans les pays d'accueil», relève le département d'Abdellatif Maâzouz, qui précise que la courbe des transferts au cours de la période 2000-2007 a enregistré une allure quasi exponentielle avec un taux d'augmentation record, en 2001, de 60,50%.
L'apparition de l'euro, les attentats du 11-Septembre et la crise en Europe
Ce record trouve son origine, toujours selon la même source, dans l'apparition de la nouvelle monnaie européenne, l'euro, et par les événements du 11-Septembre. «Les MRE, qui avaient thésaurisé des sommes importantes en différentes monnaies européennes, ont été contraints, pour ne pas devoir justifier de l'origine de ces fonds auprès du fisc, de les transférer au Maroc». Plus inattendus encore, les effets des attentats du 11 septembre 2001 sur les transferts de fonds des MRE, le ministère de tutelle écrit à ce sujet : «Des montants importants de transferts de fonds ont été enregistrés en provenance de pays situés hors de la zone euro, aux États-Unis (+144,1%), en Grande-Bretagne (+67,3%), au Koweït (+216%) et au Qatar (+117,1%). Le rapatriement de ces fonds visait probablement à leur assurer une meilleure sécurité au pays d'origine, notamment à la suite des exactions dont étaient victimes des migrants de confession musulmane», souligne le ministère.
Puis vint la crise économique et financière en zone euro, premier réceptacle des MRE, et son impact sur le volume des transferts. Le premier recul a été observé dès 2008 et a été estimé à 2,4% du montant transféré. Cette régression s'est poursuivie l'année suivante, puisque le mois de janvier 2009 enregistre une baisse du volume des transferts de 14,20% par rapport au même mois de l'année 2008. Durant la période allant de janvier à mars 2013, 13 milliards 20 millions de DH ont été transférés depuis l'étranger au Maroc, soit un recul de -3,5% comparativement à la même période de 2012, selon l'Office des changes. Mais la crise en Europe s'est également traduite par la montée du chômage au sein des MRE. «L'exemple de la communauté marocaine résidant en Espagne est révélateur : le taux de chômage des Marocains y est de 35%, soit quinze points de plus que la moyenne espagnole», note le ministère.
Mais il est indispensable de relever que malgré la crise et la baisse des transferts de fonds, les MRE font gagner au pays plus que le secteur du tourisme qui a engrangé 11 milliards 840 millions au premier semestre de l'année en cours, soit moins que les transferts des MRE, selon les statistiques de l'Office des changes.
Où va l'argent des MRE ?
Comparé aux autres pays d'émigration, note l'étude déjà citée réalisée par le ministère chargé des MRE, le Maroc arrive au dixième rang mondial des pays bénéficiaires des transferts de fonds de leur diaspora. Cependant, si l'on exclut les pays européens connus pour être des pays d'immigration, il arrive au cinquième rang derrière la Chine (21,7 milliards de dollars), l'Inde (21,7 milliards de dollars), le Mexique (18,1 milliards de dollars) et les Philippines (11,6 milliards de dollars). Plus que ce classement, l'affectation des fonds transférés confirme le rôle social de premier plan que joue la diaspora marocaine. Selon une étude réalisée en 2005 par l'Observatoire de la Fondation Hassan II pour les MRE, 71% des fonds transférés servent à la consommation des ménages, 20,9% aux dépôts bancaires, 7,7% à l'investissement et 0,4% comme participation à des actions collectives. «Ces transferts contribuent directement à l'amélioration des conditions de vie et permettant ainsi de réduire la précarité et la pauvreté», conclut le ministère. Le secteur bancaire bénéficie également de ces transferts dans la mesure où ceux-ci représentent 22,3% des dépôts des banques, 17,90% des ressources et 22,40% des dépôts non rémunérés.
Dans une étude réalisée en 2008, l'Office des changes classe l'immobilier comme premier secteur qui bénéficie des transferts (635,2 millions de DH) suivi du tourisme (121,6 millions de DH). L'industrie a accaparé, quant à elle, 70,2 millions de DH. Durant cette même année, le commerce a attiré 28,8 millions de DH et, enfin, les divers autres secteurs ont engrangé 3,2 millions de DH.
Le RAMED sera généralisé aux MRE démunis
Le chef du gouvernement, Abdelilah Benkirane, a annoncé, le 9 mai, la généralisation du Régime d'assistance médicale (RAMED) aux MRE démunis, qui ne bénéficient pas de la couverture médicale dans leurs pays de résidence. Lors de la séance mensuelle sur la politique générale à la Chambre des conseillers, M. Benkirane a fait savoir que l'Exécutif se penche sur la création d'un fonds national de solidarité et de prévoyance sociale au profit des MRE ne disposant pas d'assurance maladie. Le chef du gouvernement a indiqué que plusieurs mesures ont été prises afin d'apporter l'assistance nécessaire aux cas urgents, notamment par le biais des fonds d'aide sociale (10 MDH par an) relevant de nombre d'ambassades et consulats du Maroc à l'étranger, et dédiés aux ressortissants marocains en situation de détresse ou de vulnérabilité. Le gouvernement soutient également, moyennant un budget annuel de 3 millions de DH, la mise en place de programmes de formation et de qualification des jeunes MRE.
Promotion de l'investissement
Un projet pilote de 1,2 million d'euros, consacré à la promotion des investissements des Marocains résidant en Belgique, sera réalisé dans le nord du Maroc. Lancé en juin 2012 et baptisé «Mobilisation des Marocains résidant en Belgique pour le développement du Maroc», ce projet, dont la durée initiale est de deux ans, sera mis en œuvre par l'Organisation internationale pour les migrations (OIM), en collaboration avec le ministère chargé des Marocains résidant à l'étranger, la Fondation Hassan II pour les Marocains résidant à l'étranger et le gouvernement belge. Destiné aux promoteurs belges d'origine marocaine et aux MRE souhaitant investir dans les régions de Tanger-Tétouan, de l'Oriental et dans la province d'Al-Hoceima, ce projet-pilote tend à appuyer des investissements productifs, notamment de petites et moyennes entreprises (PME), ayant un caractère novateur et économiquement profitable au Maroc, surtout en termes de création d'emploi.
15 Mai 2013, Samir Benmalek
Source : LE MATIN

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