IMMIGRATION - Un film avec Jamel Debbouze, un tour de France, des livres, des expos... Les 30 ans de la Marche pour l'égalité, dite "Marche des Beurs", donne lieu à une avalanche commémorative qui contraste avec la tiédeur de ses 10e et 20e anniversaires.
Le 15 octobre 1983, sur fond de tensions entre jeunes des cités et policiers, une douzaine d'enfants d'immigrés et de militants antiracistes quittaient Marseille pour réclamer l'égalité des droits. Deux mois et un millier de kilomètres plus tard, ils étaient accueillis à Paris par 100.000 personnes.
Seuls deux Français sur dix s'en rappellent
"L'histoire est extraordinaire, estime Nabil Ben Yadir, réalisateur du film La Marche qui sortira le 27 novembre: des jeunes de banlieue décident d'organiser une marche après avoir vu un film sur Gandhi et partent à la rencontre d'une France qui ne les connaît pas."
Très médiatisée à l'époque, leur initiative a disparu des esprits. Peu d'événements ont marqué ses 10 et ses 20 ans et aujourd'hui seuls deux Français sur dix s'en rappellent, une proportion qui tombe à un sur dix chez les plus jeunes. Cette année, une conjonction de facteurs font cependant ressurgir l'événement, considéré comme l'acte de naissance politique des descendants d'immigrés.
Appel à projets pour le 30e anniversaire
D'abord, le long métrage a servi de locomotive. "Il a accéléré les choses en multipliant la couverture médiatique", estime le père Christian Delorme, un des marcheurs historiques qui témoigne de cette épopée dans la Marche (Bayard).
Ensuite, la gauche est à nouveau au pouvoir et "considère la mémoire des quartiers et de l'immigration comme une dimension de la politique de la Ville", rappelle le sociologue Abdellali Hajjat, qui publie l'ouvrage le plus documenté (La Marche pour l'égalité et contre le racisme, Amsterdam).
Le gouvernement a d'ailleurs lancé un appel à projets pour le 30e anniversaire et débloqué 455.000 euros pour financer 70 actions commémoratives (colloques, spectacle chorégraphique, édition spéciale de magazine...).
"Il s'agit de rappeler l'histoire mais aussi de réfléchir sur l'intégration, explique le ministre délégué à la Ville, François Lamy qui, jeune homme, avait accueilli la marche à Paris. "En 30 ans, une classe moyenne issue de l'immigration a émergé mais elle continue à se heurter à un plafond de verre."
"Les bourreaux raffolent des victimes"
Par ailleurs, certains acteurs historiques sont sortis de l'ombre, à commencer par Toumi Djaïdja. En juin 1983, blessé par la police, il avait décidé avec d'autres jeunes des Minguettes, une cité près de Lyon, d'organiser cette marche pacifique pour désamorcer le cycle de violences.
Après le succès de la marche, lui et les autres marcheurs historiques, peu aguerris au militantisme politique, s'étaient effacés. SOS Racisme, créé en 1984, avait vite rempli le vide, capitalisant sur le mouvement de sympathie né pendant la marche. Aujourd'hui SOS Racisme n'est plus que l'ombre d'elle-même et Toumi Djaïdja publie un entretien avec le sociologue Adil Jazouli (La Marche pour l'Egalité, éditions l'Aube) pour éviter de "nouvelles récupérations".
Lui, souhaite que le 30e anniversaire serve de "message d'espoir". Certes, les discriminations perdurent mais, selon lui, l'histoire de la marche appelle les jeunes à se mobiliser. "Il ne faut pas qu'ils tombent dans un discours victimaire, dit-il. Les bourreaux raffolent des victimes."
Même motivation du côté du collectif AC Le FEU, né après les émeutes de 2005, qui organise une "caravane de la mémoire" (quinze étapes en deux mois) pour transmettre l'histoire et inciter les jeunes à s'investir, notamment en votant "pour faire barrage au FN". D'autres associations de quartiers se sont emparées de l'événement avec ici et là une rencontre-débat, une expo-photo, la projection d'un documentaire...
"En 2003, Jean-Pierre Raffarin avait organisé une cérémonie mais rien n'était venu de la base. Pourquoi est-ce différent aujourd'hui?" s'interroge M. Jazouli. "Sincèrement, je n'en sais rien". "Est-ce que ça a un rapport avec le Front national qui monte, avec des discours à la limite du racisme dans la bouche d'élus de partis démocratiques?", avance le réalisateur Nabil Ben Yadir. "Dans ce contexte, parler de cet événement devient un acte citoyen".
15/10/2013
Source : huffingtonpost.fr