dimanche 24 novembre 2024 23:36

Melilla : les migrants cachés dans la forêt pour fuir la police

Papa Africa enveloppe avec soin son seul bien, une marmite. Puis il grimpe tout en haut d'un arbre pour l'accrocher. "C'est à cause des policiers, quand ils viennent, ils brûlent et ils cassent tout, explique-t-il en sautant à terre. Maintenant, on va au Tranquilo." Le Tranquilo est un endroit sûr pour se cacher, une paroi rocheuse avec des cavités étroites où il est possible de se terrer quelques heures, le temps que les forces de police marocaines quittent, ce mercredi 25 septembre, la forêt de Gourougou. Des centaines de Subsahariens clandestins – plus de 700 selon les estimations – survivent ici, au milieu des pins et des roches.

Papa Africa est là depuis trois ans. Il est malien, de la région de Kayes, il a 26 ans et, comme tous ceux qui l'entourent, il ne rêve que d'une chose : atteindre en contrebas la ville espagnole toute proche, Melilla, enclavée dans cette région du nord-ouest du Maroc. La porte de l'Europe. A droite, il y a Nador la Marocaine, l'une des plus grosses communes de la côte orientale ; à gauche, Melilla l'Espagnole cernée par trois hautes barrières métalliques, la plus élevée atteint sept mètres. Entre les deux cités, sur la route, d'immenses panneaux publicitaires annoncent l'aménagement par le Maroc de la lagune de Marchica et la construction d'un complexe touristique de luxe. Le golf, avec ses pelouses soignées, est déjà prêt. De la forêt de Gourougou, on voit tout.

Pour y parvenir, il faut prendre des chemins détournés, crapahuter longtemps entre les rochers escarpés et les figuiers de Barbarie avant d'atteindre la zone boisée au sommet. Les premiers "résidents" de la forêt, comme ils se nomment, apparaissent : des guetteurs qui surveillent l'arrivée des policiers. "Ils font deux rafles par jour, une le matin et une autre en fin de journée", indique Wilfrid, un Camerounais de 23 ans, sans parvenir à détacher ses yeux de Melilla. "Chacun a sa chance, chacun a son étoile."

"DOUZE SONT ARRIVÉS LE LENDEMAIN, DIX LE TROISIÈME JOUR"

Le 17 septembre, plus de 300 hommes ont quitté la montagne à l'aube pour se précipiter sur les hauts grillages de Melilla, escaladés en quelques minutes, parfois avec des échelles de fortune bricolées avec des branches. Beaucoup sont tombés, se sont blessés. D'autres ont été refoulés. Quatre-vingt-dix-huit, ce jour-là, sont parvenus jusqu'au Centre d'accueil temporaire des migrants (CETI).

"Douze sont arrivés le lendemain, dix le troisième jour", précise Carlos Montero Diaz, le directeur du centre. La Garde civile espagnole a diffusé des images terribles prises par hélicoptère de cet "assaut", le troisième depuis le début de l'année. Le 19 septembre, 200 autres clandestins sont revenus à la charge. Wilfrid se promet de réussir à la prochaine tentative.

Parti de Douala, il a, comme tous ses compagnons d'infortune, effectué un long périple pour arriver jusqu'ici, en passant par le Nigeria, le Niger et le nord du Mali – franchi à grand-peine, moyennant la somme de25 000 francs CFA (38 euros) –, au beau milieu du conflit entre le pouvoir central de Bamako, les Touareg et les groupes djihadistes. Puis il est remonté de Tamanrasset, dans le sud de l'Algérie, jusqu'à la frontière nord avec le Maroc, à 70 km de Nador. Un parcours jalonné par la violence et le racket des passeurs, mais l'objectif est maintenant devant lui, et il est déterminé. "Chez moi, il n'y a pas d'argent, pas de travail ; en Europe, on peut vivre."

QUELQUES MARMITES, COUVERTURES, DE MAIGRES PROVISIONS

Swadogo Seydou, 19 ans, vient du Burkina Faso. "J'ai tenté de passer par la mer, depuis Tanger, mais je me suis fait attraper, et c'est très dangereux." Il a choisi désormais la voie terrestre. Il y a aussi un homme originaire de Guinée-Conakry, un Ivoirien, un Somalien et des dizaines d'autres, Maliens et Camerounais, tous âgés en moyenne d'une vingtaine d'années, disséminés dans la broussaille. "Les anglophones sont plus loin, dans d'autres campements", dit Papa Africa en désignant vaguement une autre partie de la montagne, occupée par des Nigérians.

Les francophones se rassemblent entre eux, dans le dénuement le plus complet. Quelques marmites, quelques couvertures, de maigres provisions. Des restes de marché, des pattes de poulet, un peu de riz, une poignée de pommes de terre, des bidons d'eau ramenés péniblement par ceux chargés de descendre à tour de rôle "faire les courses". Le bien le plus précieux, gardé jalousement, reste le téléphone portable, qui leur permet de rester en contact avec la famille, et surtout avec les amis parvenus à Melilla. Quand il fonctionne.

La situation des migrants, toujours plus nombreux, s'est dégradée encore un peu plus depuis le départ, en mars, de la mission de Médecins sans frontières (MSF). Dans un rapport intitulé "Bloqués aux portes de l'Europe", l'ONG dénonçait alors "une violence institutionnelle" et des politiques migratoires qui "privilégient des critères de sécurité" au détriment des "droits humains fondamentaux". "Depuis 2004, ajoutait MSF, nos équipes sont témoins de la recrudescence de rafles policières au cours desquelles les effets personnels des migrants sont détruits ainsi que d'une augmentation des expulsions vers l'Algérie."

LES MANIFESTATIONS DE RACISME ANTI-NOIR SE MULTIPLIENT

"Ils entrent clandestinement, ils sontrefoulés clandestinement", acquiesce Adil Akid, militant de l'Association marocaine des droits de l'homme à Nador. La tente mobile de MSF a été remplacée par une garnison des forces de l'ordre marocaines. Et les Subsahariens se disent tous victimes de brutalités policières quand ils sont attrapés avant d'être relâchés dans la nature. Plusieurs exhibent des traces de coups sur les bras et les jambes. Nombreux aussi sont ceux qui dénoncent leur retour brutal et contraint par la Guardia Civil de l'autre côté des barrières, quand bien même ils étaient parvenus à fouler le sol espagnol.

Au Maroc, devenu non plus seulement un "pays de transit" mais un "pays de destination forcée", soumis à une forte pression européenne selon MSF, des manifestations de racisme anti-Noir se multiplient. Il y a quelques mois, un magazine marocain n'avait pas hésité à faire sa couverture sur le "péril noir". En juillet, des affiches immobilières appelant à ne pas louer à des Subsahariens étaient dénoncées sur les réseaux sociaux. En août, un Sénégalais, Ismail Faye, 31 ans, a été tué à l'arme blanche lors d'une rixe avec un Marocain à Rabat, la capitale, pour une histoire de place d'autobus.

Le roi a fini par intervenir. Après la remise d'un rapport du Conseil national des droits de l'homme marocain sur le sujet, Mohammed VI a appelé à "une gestion plus humaine des migrants clandestins".

26.09.2013, Isabelle Mandraud

Source : LE MONDE

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