Face à la crise, l'Union européenne veut encourager la mobilité des jeunes entre pays membres, une solution qui n'est pas sans risques à long terme pour les pays de départ lorsque leurs meilleurs talents vont s'épanouir ailleurs.
Ce volet du plan à 8 milliards d'euros en faveur des six millions de jeunes européens sans emploi, détaillé mercredi à Berlin, ne peut être qu'"une solution provisoire", met en garde la présidente de la commission de l'emploi et des affaires sociales du Parlement européen, Pervenche Berès.
"La mobilité des jeunes ne peut pas être la réponse à la crise", estime l'eurodéputée, qui appelle à "privilégier l'investissement" dans les pays touchés, via le crédit aux entreprises, autre volet. Elle se dit très "inquiète" de la situation en Lettonie, "qui a vu partir 250.000 de ses jeunes les plus doués" en quelques années.
Le nouvel exode lié à la crise dans ce pays de seulement 2 millions d'habitants est le troisième depuis 2000. Ajouté à une démographie déclinante, en treize ans, la Lettonie a perdu 13% de sa population. "Plus de 25% des 25-35 ans ont déjà quitté le pays", estime le responsable de l'office des migrations, Ilmars Mezs.
Alors que seuls 3% envisagent de revenir à court terme, le pays manquera de bras en 2017 et "la pénurie de main d'oeuvre sera l'une des principales causes de retard de croissance économique", pronostique M. Mezs.
Pour inciter la diaspora à revenir ou investir, le gouvernement letton organisait cette semaine un premier grand forum économique à Riga pour ses émigrés, dont la "connaissance et l'expérience" sont des atouts, selon le chef du gouvernement Valdis Dombrovskis.
En Lituanie, pays voisin, les émigrés ont enrichi de 3,6% le pays en 2012, constate Romas Lazutka, professeur à l'Université de Vilnius. Mais à long terme, "la perte de population causera probablement le plus gros dommage subi par le pays" au vu des dépenses à fonds perdus d'éducation et de santé.
"Au-delà de 15% ou 20% de taux d'expatriation de personnes qualifiées, les effets deviennent négatifs pour les pays de départ", observe E. M. Mouhoud, professeur d'économie à l'Université Paris Dauphine.
C'est le cas dans les pays pauvres, d'où partent en proportion davantage de diplômés, relève-t-il.
En revanche, en-dessous de ce "seuil", ajoute M. Mouhoud, "les effets en retour (transferts de fonds, incitations à l'éducation, etc.) peuvent compenser" et l'impact peut être positif.
Selon l'économiste, l'intensification de la mobilité au sein de l'UE, où l'expatriation des plus qualifiés reste faible, est "plutôt une bonne chose". Dans les pays du Sud européen particulièrement, où le chômage a atteint des sommets, l'émigration nouvelle, après des années de croissance où ces pays ont massivement eu recours aux immigrés, "peut agir comme une soupape de sécurité pour abaisser un peu les tensions internes".
En Italie, désertée par plus de 300.000 jeunes depuis 2000, l'émigration génère pourtant de l'inquiétude. Le chef du gouvernement Enrico Letta s'est récemment "excusé" auprès des jeunes ayant déserté le pays, a promis de favoriser l'embauche pérenne des jeunes et les a incités à "revenir pour contribuer à la reconstruction". La perte en coût de formation est estimée à 5 milliards d'euros par le patron des patrons italiens.
En Grèce, Lois Lambrianidis, professeur à l'Université de Macédoine, pressent "un gros problème pour l'économie et la société".
Une partie des expatriés grecs sont allés s'installer en Allemagne: 35.000 en 2012, 40% de plus en un an. Ce pays, confronté à une pénurie de main d'oeuvre qualifiée, est le premier pays d'accueil pressenti pour les futurs jeunes européens.
L'Allemagne n'a pas attendu l'initiative européenne pour rechercher des travailleurs à l'étranger et affichait en 2012 un solde migratoire positif de 363.000 personnes, le plus élevé depuis 1995. Les candidats d'Europe centrale (Pologne, Roumanie, Hongrie et Bulgarie) constituent les plus forts contingents. Juste derrière, les arrivées de Grecs, Italiens, Espagnols enregistraient des hausses spectaculaires.
Pour autant, parler de "fuite des cerveaux est exagéré" pour M. Mouhoud. Et "de la même façon que les Polonais émigrés au Royaume-Uni sont massivement rentrés il y a quelques années, Espagnols, Grecs et Italiens reviendront probablement" car la libre circulation des personnes en Europe "favorise les retours".
03/07/2013, Sylvie HUSSON
Source : AFP