On suppose, parmi les citoyens russes, que derrière chaque migrant se tient la puissante organisation de ses compatriotes, sa diaspora, toujours prête à offrir au migrant son soutien et à le tirer de toute difficulté. C'est précisément cette diaspora qui fait peur.
Chez les citoyens ordinaires, les représentations sur la «diaspora» sont des plus vagues. Peu de gens savent comment cette organisation fonctionne, qui la dirige, si elle a un état-major, de quelle façon sont prises les décisions. Même les nationalistes idéologiques ne sont au courant, sur les diasporas, que de leur existence. Le secret superflu et le manque de données sur ce phénomène créent une auréole supplémentaire de peur, vu que l'on est toujours effrayé par ce que l'on ne comprend pas entièrement.
Dans les représentations des Russes ordinaires sur les « diasporas toutes-puissantes », on observe plus que nulle part ailleurs une composante névrotique. Car le citoyen post-soviétique se sent, dans le corps social, non seulement seul, mais abandonné. Le citoyen russe est totalement livré à lui-même : l'autogestion locale dans la structure du pouvoir en Fédération de Russie est une fiction, l'engagement politique est étranglé au maximum, les organisations civiles volontaires de toute nature se trouvent à l'état embryonnaire.
À la base de la peur qu'éprouve le citoyen ordinaire à l'égard des migrants repose son désir d'être protégé par une communauté forte et bonne. Le citoyen ordinaire n'a rien contre les nouveaux venus en tant que tels – mais il ne peut leur pardonner leur capacité, conservée, à agir en commun et à se soutenir entre eux. Cette capacité rappelle trop douloureusement au citoyen russe ce que, peut-être, il a possédé à un moment, mais qu'il a perdu à jamais.
2 septembre 2013, Julia BREEN
Source : lecourrierderussie.