dimanche 24 novembre 2024 23:42

Québec veut interdire le port de signes religieux ostentatoires à ses employés

Les représentants de l'État et de tous les pouvoirs publics québécois devront s'abstenir de porter un signe religieux ostentatoire pendant «leurs heures de travail», a confirmé, mardi, le ministre Bernard Drainville. Les élus échapperont cependant à cette obligation.

«Le temps est venu de nous rassembler autour de règles claires et de valeurs communes qui mettront un terme aux tensions et aux malentendus», a fait valoir le ministre des Institutions démocratiques en rendant publics, mardi, les projets de son gouvernement en matière de laïcité et de «valeurs québécoises».

Sous un vent préélectoral, le gouvernement Marois a prévu de soutenir ses propositions auprès de l'opinion publique par une campagne de promotion de 1,9 million $.

Bernard Drainville affirme que ses «propositions seront source d'une meilleure entente, d'harmonie et de cohésion pour toutes les Québécoises et tous les Québécois, peu importe leur religion ou leur origine».

Les partis d'opposition croient le contraire. Le libéral Marc Tanguay condamne une «attaque aux libertés individuelles». La caquiste Nathalie Roy fustige une «police religieuse».

Le gouvernement fédéral, lui, se réserve le droit de contester devant les tribunaux le projet de loi de Bernard Drainville. Le Bloc québécois est réservé devant les intentions du ministre.

«Ostentatoires»

Le gouvernement de Pauline Marois prévoit modifier la Charte québécoise des droits et libertés pour y inscrire formellement le principe de la «neutralité religieuse de l'État».

Le ministère des Institutions démocratiques a produit un document illustrant les signes religieux qui seraient permis et ceux qui seraient interdits, si ses propositions étaient adoptées telles quelles. Les boucles d'oreilles, les bagues et les petites chaînes de cou sur lesquelles figure un signe religieux comme une croix catholique ou une étoile de David seraient autorisées.

Les grandes croix, les voiles couvrant les cheveux, ceux couvrant le visage en tout ou en partie, les turbans et la kippa juive seraient proscrits.

Le gouvernement a décidé d'embrasser largement. Sont visés par son projet : le personnel des ministères et des organismes, les juges, les procureurs, les policiers, les agents des services correctionnels, le personnel des centres de la petite enfance, des garderies privées subventionnées, celui des commissions scolaires, des écoles primaires et secondaires publiques, celui des cégeps et des universités, celui du réseau de la santé et des services sociaux, ainsi que les fonctionnaires et les employés municipaux.

«Je pense que le gros bon sens et la discussion vont faire le travail», a expliqué Bernard Drainville, selon qui les gestionnaires n'auront pas à sortir de règles à mesurer.

«Si, à un moment donné, quelqu'un porte une croix qui est un peu trop ostentatoire, je pense que ce sera possible pour la personne responsable de s'asseoir avec lui ou avec elle, puis de dire : "Écoute, c'est un petit peu trop évident, là. Peux-tu la porter plus discrètement, peux-tu avoir quelque chose d'un peu plus petit?"»

Droit de retrait

Attention : les cégeps, les universités, les hôpitaux, les villes et leurs arrondissements pourront se soustraire aux nouvelles règles (sauf pour ce qui est du «visage à découvert»). Ce droit de retrait serait valide pour une période de cinq ans. Il pourrait être renouvelé dans le temps.

Cette possibilité serait accordée si un conseil d'administration ou un conseil municipal, selon le cas, adopte une résolution en ce sens.

Bien que ce droit soit «renouvelable», le ministre a précisé qu'il s'agit d'«une mesure de transition temporaire».

«On veut donner aux organisations le temps de s'ajuster. On souhaite que le plus petit nombre possible d'entre elles aient recours à cette exception.»

Le crucifix du parlement

Le gouvernement ne décrochera pas le crucifix fixé au-dessus du fauteuil du président de l'Assemblée nationale du Québec, et ce, au nom de la défense «du parcours historique du Québec». Une incohérence de plus, selon Québec solidaire.

Dans les documents gouvernementaux, on prend soin de préciser que les noms des municipalités et des écoles du Québec, souvent à connotation catholique, seront préservés.

Les élus ne seront pas assujettis à la politique présentée mardi, car ils représentent les citoyens, a justifié M. Drainville. Ceux qui le désirent pourront continuer à afficher des symboles confessionnels.

À propos de la controversée prière récitée dans certaines municipalités, comme à Saguenay, le ministre paraît privilégier son remplacement par un «moment de recueillement». Mais son gouvernement n'a encore rien décidé à ce sujet.

Des balises pour les accommodements

La Charte québécoise des droits et libertés revue et corrigée par le projet gouvernemental encadrerait les demandes d'accommodement. Les autorités devraient se poser les questions suivantes avant d'y acquiescer ou pas :

- Est-ce que l'accommodement respecte l'égalité entre les hommes et les femmes?

- Contrevient-il aux droits d'autrui de façon importante?

- Entraîne-t-il un coût excessif?

- Présente-t-il un risque pour la santé et la sécurité?

- Entrave-t-il le bon fonctionnement de l'organisation?

«Voir une femme faire de l'exercice par la fenêtre d'un centre de conditionnement physique, ça ne porte atteinte aux droits de personne, a illustré Bernard Drainville. On n'a pas à donner d'accommodement.»

S'agissant «d'une personne qui travaille dans une PME et qui demande un local de prière qui serait aménagé, par exemple, dans les bureaux de l'entreprise ou dans l'usine, l'employeur pourrait dire : "Je n'ai pas l'espace pour aménager un lieu de prière, ça me coûterait trop cher. Donc, je ne peux malheureusement pas accéder à ta demande."»

Consultations limitées

Les Québécois pourront faire connaître leur opinion par l'entremise d'un site Internet et d'une ligne téléphonique dédiée. Les consultations publiques seront limitées.

Bernard Drainville déposera plus tard cet automne à l'Assemblée nationale un projet de loi ad hoc. Une commission parlementaire suivra l'hiver prochain.

Le débat pourrait nous conduire jusqu'aux portes d'une prochaine campagne électorale générale - en plus d'animer celle-ci.

Ce qui divise les partis politiques, ce ne sont pas les balises concernant les accommodements raisonnables. Les divisions ont trait à l'interdiction des symboles confessionnels dans les organisations publiques.

Les libéraux de Philippe Couillard, la Coalition avenir Québec de François Legault et les porte-parole de Québec solidaire préconisent une scission en deux volets.

10/9/2013, Jean-Marc Salvet

Source : lapresse.ca/le-soleil

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