D'odeurs xénophobes en relents de racisme assumé, l'actualité française semble abonnée aux effluves nauséabonds. Une fois de plus, un être humain noir vient d'être comparé à un singe...
Anne-Sophie Leclère, candidate pressentie du Front national aux municipales françaises de 2014, a été suspendue par son parti pour avoir imaginé Christiane Taubira suspendue, mais physiquement, comme un singe. "Je préfère la voir dans un arbre après les branches que la voir comme ça au gouvernement" a lancé l'impudente au cours d'un reportage diffusé, le 17 octobre, par le magazine "Envoyé spécial". La blague plus que douteuse - et diffusée au moment même où la ministre française de la Justice se trouvait en Afrique subsharienne - serait-elle plus ignominieuse encore s'il elle n'était banalement éculée ? Madame Taubira ne devrait en tout cas pas porter plainte. Ne maîtrisant décidément pas la liste des arguments contre-productifs, la politicienne du F.N. a d'ailleurs ajouté : "j'ai des amis qui sont noirs"...
Sachant que l'être humain partage 98% de son patrimoine génétique codé avec le chimpanzé, pourquoi devrait-on encore s'offusquer d'être assimilé à un singe ? Le naturaliste à la peau blanche Charles Darwin n'était-il pas dessiné en primate, dès le XIXe siècle, sur la couverture du journal La petite lune ? Certes, mais la caricature faisait sens, le scientifique arroseur arrosé ayant lui-même établi le lien de parenté entre les espèces, dans la théorie de l'évolution. Et caricature pour caricature, l'honorable technique de "l'animorphose", qui fait de la personnalité un personnage de fable, ne peut faire abstraction de certains lieux communs aussi tenaces que corrosifs. Un Japonais en fourmi ? Un musulman en porc ? Un noir en singe ? Ou même une femme en poule, comme l'évoquaient les cris de certains députés, lors du récent discours d'une élue française à l'Assemblée nationale ? L'auteur de la comparaison, surtout s'il n'est pas couvert par l'immunité de la satire, peut-il prétendre ignorer les clichés qu'il avalise ?
Taubira comme Obama
En 2009, le "cartoonist" américain Sean Delonas représentait un policier qui venait d'abattre un singe et disait à son collègue "ils vont devoir trouver quelqu'un d'autre pour rédiger le prochain plan de relance". Oui, un chimpanzé dénommé Travis venait être abattu par la police, dans le Connecticut, après avoir gravement blessé une femme. Mais le dessinateur pouvait-il prétendre n'avoir pas pensé à la couleur de peau de Barack Obama en charge des plans de relance ?
De même, les Tifosis italiens peuvent-ils convaincre quelqu'un que les cris de singes qu'ils vocifèrent au passage de Mario Balotelli font davantage référence à son comportement réellement primaire qu'au caractère supposé primate du sang africain qui coule dans ses veines ? De même, bien malin serait le sénateur de la Ligue du Nord, Roberto Calderoli, s'il arrivait à trouver un sens "éditorial" à ses déclarations sur la ministre italienne noire Cécile Kyenge, dont il jugeait les traits proches de ceux "d'un orang-outang".
Depuis les recherches anthropologiques du XIXe siècle qui s'échinaient à établir un lien entre Africains et primates, le cliché a continué à polluer bien des esprits.
Le malaise est bien là. Depuis les recherches anthropologiques du XIXe siècle qui s'échinaient à établir un lien entre Africains et primates, le cliché a continué à polluer bien des esprits. Il y a un peu plus d'un siècle, des Européens fantasmaient même sur une proximité qui pouvait susciter l'accouplement. L'attraction vedette d'une foire de l'époque s'appelait "l'homme des bois gymnaste", présenté comme la "curieuse progéniture d'une négresse et d'un représentant de l'espèce simiesque". La femme à barbe n'avait qu'à bien se tenir...
Photomontage explicite
Le lieu commun est à ce point resté dans le cortex de certains "visages pâles" que lorsqu'une élue du Front national décrit un ministre comme une sauvage sur une branche, personne ne pense à un aï ou à une chauve-souris. Alors, l'antiraciste autoproclamé a-t-il l'esprit mal tourné ? Las, le hurlement au "politiquement correct" ne tient pas, puisqu'Anne-Sophie Leclère a fait précéder ses propos d'un photomontage explicite. Or une mauvaise plaisanterie isolée perd toute chance d'être tolérée lorsqu'elle est récidiviste. En mai dernier déjà, lors de l'adoption de la loi sur le mariage pour tous par le Parlement français, un autre photomontage circulait sur Twitter. Il représentait la ministre de la Justice en gorille...
Combien de siècles encore faudra-t-il pour dépasser ces clichés racistes fardés en blagues potaches ? Mais au fait, n'en déplaise aux fondamentalistes qui dénient la proximité entre l'homme et l'animal, les scientifiques ne considèrent-ils pas que l'humain fait partie d'une famille bien identifiée des primates, celle des "hominidés"... tout comme le bonobo, le chimpanzé, le gorille et l'orang-outan ? Au lieu de s'insurger contre ceux qui disent que Madame Taubira est un primate, on pourrait souligner qu'Anne-Sophie Leclère en est un aussi. Tout comme l'auteur et le lecteur de ces lignes. Un point c'est tout.
21/10/2013, Damien Glez
Source : Jeune Afrique