lundi 25 novembre 2024 01:38

Rapport sur l'intégration : 276 pages, 276 polémiques

Les cinq rapports consultables sur le site de Matignon regroupent une foule de propositions pour "refonder la politique de l'intégration". Le JDD passe en revue les principales. 

Le rapport s'appelle "Refondation de la politique d'intégration". Il a été remis en novembre à Jean-Marc Ayrault et constitue une base de travail pour redéfinir début janvier une nouvelle politique d'intégration. Il est consultable sur le portail du gouvernement. En fait, il s'agit de cinq rapports (276 pages en tout) rédigés par cinq groupes de travail : "connaissance reconnaissance", "faire société commune", "mobilités sociales", "protection sociale" et "l'habitat facteur d'intégration". Le JDD en a sélectionné les grandes lignes.

Voile à l'école

Les propositions qui suscitent le plus la polémique touche au problème de la laïcité à l'école, chère à Vincent Peillon, qui a fait afficher à la rentrée de septembre une charte défendant les valeurs de la laïcité dans tous les établissements scolaires publics. Les rapporteurs évoquent la "suppression des dispositions légales et réglementaires scolaires discriminatoires", allusion à la loi de 2004 qui interdit le port de signes religieux à l'école et à la circulaire de rentrée de 2012, qui restreint la possibilité pour les mères voilées d'accompagner les sorties scolaires. Si le gouvernement assure qu'il n'y aura pas de retour du voile à l'école, le rapport défend toutefois l'idée que la loi de 2004 comporte "de manière implicite une logique discriminatoire, qui joue au final sur la perte de confiance dans l'institution scolaire, servant de justification pour une extension des pratiques discriminatoires dans de nombreux secteurs (entreprises, universités et centres de formation, cantines scolaires, structures de la petite enfance, services publics…)" Une proposition d'autant plus polémique que la loi du 15 mars 2004 s'est imposée comme un texte consensuel et que l'Observatoire de la laïcité soulignait le bilan positif du texte.

Langue arabe au collège et au lycée

Le groupe de travail "connaissance reconnaissance" préconise la "valorisation de l'enseignement de l'arabe en l'introduisant dans les meilleures écoles et lycées" et de donner la possibilité "d'un enseignement dès le collège d'une langue africaine". Le rapport met en avant "la reconnaissance de la place essentielle de l'apprentissage et de la valeur de la langue parlée en famille comme support à l'apprentissage de la langue française et comme un atout de développement du multilinguisme chez tous les élèves". La langue arabe, seconde langue parlée en France, n'est pas enseignée à l'école primaire, elle est marginalisée dans le secondaire. Dans quarante-cinq départements, l'arabe n'est pas du tout enseigné. À Paris, seuls trois collèges le proposent. Sur l'ensemble des élèves du secondaire en France, à peine plus de 6.000 choisissent l'arabe. Au ministère de l'Éducation, on martèle qu'il n'y a pas un problème d'offre, mais une demande trop faible.

Histoire des migrations dans les programmes

Les rapporteurs veulent renforcer dans les programmes, dès l'école primaire et tout au long de la scolarité, "l'histoire des mouvements de population dans leur globalité, liés à l'esclavage et à la traite négrière, aux colonisations et décolonisations y compris celles des guerres d'indépendance, des immigrations économiques dont celles organisées par la France et les pays de recrutement, des immigrations d'ordre familial, des réfugiés, sans oublier les plus récentes liées aux printemps arabes et celles des Roms", de même que "l'histoire de la participation des populations des colonies françaises aux différentes guerres". Des préconisations qui auront du mal à être appliquées dans un contexte d'allégement général des programmes, et notamment de ceux d'histoire-géographie, déjà appliqué depuis la rentrée en 3e et en terminale.

Plus de justice dans les prestations sociales

Le groupe de travail sur la protection sociale propose d'uniformiser les durées de présence en France demandées aux ressortissants aux étrangers pour l'accès aux droits, "en s'alignant sur le mieux disant social pour chaque droit". Il pointe en effet le "caractère discriminant de certaines prestations", par exemple le RSA ou l'allocation de solidarité aux personnes âgées (Aspa). Celles-ci ne sont versées aux ressortissants étrangers que s'ils justifient d'un séjour régulier de cinq ans au moins, voire de dix ans. Or la CMU n'exige qu'une condition de stabilité de résidence de trois mois en France. Les experts proposent aussi d'ouvrir des droits à tous les enfants "quels que soient leur condition d'entrée en France, leur pays d'origine et la situation de leurs parents".

Un délit de harcèlement racial

Pour "construire un avenir commun", les experts prônent la "non-désignation", estimant que "désigner, c'est assigner et c'est stigmatiser". Pour cela, ils proposent la mise en place de recommandations en direction des médias sur le modèle de ce qui est fait en Belgique. Il conviendrait donc de "ne mentionner la nationalité, l'origine, l'appartenance ethnique, la couleur de peau, l'origine ou la culture que si cette information est pertinente". En cas de non-respect, le rapport propose la mise en place d'un délit de "harcèlement racial".

Un musée des Colonisations

La Cité nationale de l'histoire de l'immigration, créée en 2005, ne prend en compte, selon ce rapport, "qu'une partie des migrations et ne permet pas un réel traitement de la question coloniale". Le groupe travaillant sur la "connaissance reconnaissance" préconise la création d'un "musée des Colonisations", qui pourrait se situer sur la place de la Concorde, dans l'Hôtel de la Marine, où fut préparé le texte de l'abolition de l'esclavage en 1848. Il propose également d'intégrer "des connaissances sur l'action des étrangers et des immigrés en France" dans les commémorations historiques et d'inciter les communes à baptiser de nouvelles rues selon cette histoire des migrations.

Emploi

Le rapport préconise "la suppression des conditions de nationalité pour accéder à un emploi". Selon ses auteurs, "la Halde l'avait d'ailleurs déjà proposé, à l'exception des emplois liés à la souveraineté nationale". Il est également question de "conditionner l'accès aux marchés publics aux entreprises respectueuses du droit antidiscriminatoire" ou d'étendre l'obligation de négocier sur l'égalité femmes-hommes au sein des entreprises de plus de 50 salariés aux discriminations éthnico-raciales.

Une Cour des comptes de l'égalité

Pour rendre plus "lisible" la lutte contre les discriminations, le groupe de travail sur les "mobilités sociales" propose de créer une Cour des comptes de l'égalité, distincte du Défenseur des droits (qui a notamment remplacé la Halde, Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité). Cet organisme reprendrait les compétences de l'ancienne Halde, et remplirait en plus "une fonction étendue d'observation". "La politique d'intégration étant par essence interministérielle, il convient de la rattacher au Premier ministre", ajoute le rapport. Le groupe sur la protection sociale est très clair : "Elle ne peut en aucun cas relever du ministère de l'Intérieur."

14/12/2013, Adeline Fleury et Marie Quenet

Source : lejdd.fr

 

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