lundi 25 novembre 2024 01:22

Travailleurs migrants au Qatar : "La situation risque d'empirer"

Amnesty International alerte sur "l'exploitation généralisée" des travailleurs migrants sur les chantiers de construction et demande aux autorités et à la Fifa de réagir d'urgence. Interview.

Alors que les conditions de travail sur les chantiers de construction en vue de la Coupe du monde de football 2022 ont déjà fait parlé d'eux, Amnesty international examine dans son rapport "Qatar : Traitez-nous comme des êtres humains" les mauvais traitements infligés aux travailleurs migrants, les conditions de vie et de travail déplorables, les salaires retardés ou jamais versés, les cas de travailleurs empêchés de quitter le pays par leur employeur...

Jean-François Dubost, responsable du programme "Personnes déracinées" à Amnesty International France, revient sur le rapport publié par l'ONG lundi 18 novembre et la façon dont les autorités doivent intervenir pour faire cesser l'exploitation des travailleurs.

Le rapport d'Amnesty sur les travailleurs migrants au Qatar décrit des situations de précarité et d'exploitation qui évoquent ni plus ni moins l'esclavagisme...

- A Amnesty, nous parlons plutôt "d'exploitation". Il y a deux catégories de travailleurs. Une partie d'entre eux vient au Qatar dans le cadre d'un contrat qu'ils ont souscrit avant de venir et ce n'est qu'une fois sur place que les choses se détériorent : leurs droits ne sont pas respectés, les salaires versés avec retard, leurs conditions de vie indécentes... Et puis, il y a aussi des cas dans lesquels nous sommes plutôt dans une définition de travail forcé. C'est le cas des travailleurs qui sont venus dans le cadre d'un contrat mais sont contraints, en arrivant, d'effectuer une autre tâche, et menacés de sanctions s'ils revendiquent leurs droits. Des sanctions qui peuvent aller de se retrouver sans-papiers dans le pays et, donc, finir en prison ou d'être renvoyés dans leur pays sans aucune compensation. Nous ne parlons pas d'esclavage parce que ce terme comporte une notion de propriété, ce que nous n'avons pas constaté dans les cas analysés ici. Nous préférons donc parler de "travail forcé" dans les pires cas ou "d'exploitation quasi généralisée" pour l'ensemble des travailleurs migrants.

Car il y a bien une généralisation des atteintes commises par les employeurs à l'encontre des travailleurs migrants. Nous démontrons dans ce rapport que c'est bien le système légal qui produit les atteintes et abus dont sont victimes les travailleurs.

D'ailleurs, nous parlons là principalement des conditions de vie terribles sur les chantiers mais il faut aussi, une nouvelle fois, dénoncer le sort des travailleurs domestiques. Des migrants encore plus vulnérables car exclus de la législation du travail et invisibles aux yeux du monde, reclus dans la sphère privée qui souffrent d'abus : violences physiques, sexuelles...

Le rapport souligne le nombre très élevé d'hospitalisations dues à des accidents du travail, de travailleurs qui restent handicapés à la suite de ces accidents, ainsi qu'un taux de décès "significatif". Craignez-vous que les choses n'empirent avec la pression due à l'approche de la Coupe du monde de football ?

- Ce n'est vraiment pas impossible en effet. Comme vous le soulignez l'échéance approche et les travaux vont devoir avancer. Mais aussi parce que le nombre de travailleurs qui arrivent au Qatar ne cesse d'augmenter. Ils sont aujourd'hui 22 par heure à arriver pour travailler sur les chantiers, notamment ceux de la Coupe du monde. Donc, si rien n'est fait pour ce genre de très gros problèmes que pose l'absence de sécurité - pas d'eau, pas de protection, difficultés énormes pour accéder aux soins – il est certain que la situation risque d'empirer.

Qu'attendez-vous des autorités aujourd'hui ?

- La législation du travail existe dans le pays. Nous ne demandons pas au Qatar de prendre de nouvelles lois mais d'appliquer celles qui sont censées exister et de renforcer le contrôle de cette législation. Le gouvernement vient d'ailleurs d'annoncer l'embauche de 14 contrôleurs du travail. Mais, 14, au vue de l'ampleur du nombre de chantiers et de travailleurs migrants, c'est dérisoire. La justice doit également faire mieux son travail. Les procédures sont bien trop longues et les travailleurs n'obtiennent jamais réparation, il faut changer cela. Surtout, il convient de modifier le système dit du "parrainage" qui se traduit par le fait que les migrants ne peuvent sortir du pays qu'avec un visa de sortie donné par les employeurs. C'est une des clés du problème : les migrants sont aux mains des employeurs. Il faut donc enlever ce système des visas de sortie.

La Fifa a-t-elle, de son côté, une marge de manœuvre pour peser sur la situation des migrants travailleurs ?

- Oui, la Fifa doit adopter un discours fort sur les droits humains : "pas de Coupe du monde en 2022 dans ces conditions-là". Cela veut dire faire pression avec ses moyens auprès du Qatar pour que les droits des travailleurs soient respectés dans le cadre de ces constructions. On attend d'elle un affichage politique puisqu'elle a un poids. Et puis la Fifa va bénéficier au Qatar de bâtiments, notamment un quartier général, le Sheraton park, qui est en train d'être construit. Or, nous observons en ce moment sur le chantier de ce complexe des violations des droits des salariés migrants et c'est la moindre des choses que la Fifa contrôle ce qui se passe sur les chantiers de ses bâtiments.

Vous citez également dans le rapport la responsabilité des entreprises étrangères liées à ces constructions. Quelle peut être leur influence pour améliorer le sort des travailleurs migrants ?

- Ce n'est pas Amnesty qui leurs demande de jouer un rôle mais bien les principes édictés par les Nations unies sur les relations entre les domaines des affaires et les droits humains. Les multinationales ne sont pas à l'œuvre directement sur les chantiers, mais nous soulignons leur responsabilité indirecte et elles doivent tout faire, le plus en amont possible, pour que ces violations disparaissent. La situation est tellement claire au Qatar que les multinationales qui investissent actuellement au Qatar dans la construction ne peuvent ignorer que des violations des droits existent. Elles doivent donc faire adopter dans les contrats de sous-traitances des clauses concrètes de protection des travailleurs migrants.

18-11-2013, Céline Lussato

Source : nouvelobs.AFP

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