mercredi 27 novembre 2024 22:53

Le retour forcé des Égyptiens de Libye

Le 15 février dernier, 21 Coptes étaient sauvagement assassinés par les djihadistes de Daech en Libye. Depuis, craignant pour leur vie, environ 45 000 Égyptiens ont fui le pays où ils venaient travailler.En Libye, ils subissent enlèvement et travail forcé, sous la menace des milices islamistes.

Mohamed Abdel Aziz s’est retrouvé otage d’un conflit qui ne le concerne pas. Cet Égyptien de 33 ans, père de trois enfants, faisait des allers-retours entre l’Égypte et la Libye depuis plus de quinze ans. Le principe : travailler quelques mois en Libye dans la construction, accumuler de l’argent puis retourner dans sa famille à Beni Suef, au sud du Caire.

Le 10 février, alors qu’il passait comme d’habitude un barrage de miliciens dans la région de Tripoli, des miliciens l’ont arrêté avec cinq collègues. « Ils nous ont pris nos téléphones et notre argent. Ils appartenaient au groupe [islamiste radical] Ansar Al Charia », explique-t-il.

Avec ses amis, Mohamed Abdel Aziz a été livré à Fajr Libya, la coalition de milices islamistes qui dirige l’ouest du pays. « Leurs hommes nous ont battus et faits travailler gratuitement. Ils ne nous nourrissaient que pour nous maintenir en vie », raconte Mohamed Abdel Aziz.

« DANS L’OUEST DE LA LIBYE, LES ÉGYPTIENS NE SONT PLUS LES BIENVENUS »

Pour lui, l’enlèvement avait des raisons politiques. « Dans l’ouest de la Libye, les Égyptiens ne sont plus les bienvenus. Les gens de Fajr Libya passaient leur temps à dire qu’ils étaient bien armés et prêts à riposter au président al Sissi s’il les attaquait. »

Des négociations entre le gouvernement égyptien et les autorités de l’ouest de la Libye lui ont permis d’être relâché début mars. Transféré à Djerba en Tunisie, il a pris un avion pour rentrer en Égypte. Sur les cinq personnes arrêtées avec lui, un n’est pas revenu. « Nous n’avons aucune nouvelle de lui… »

Retenu avec des dizaines d’autres Égyptiens, le modeste père de famille a fait les frais de la guerre civile libyenne, dans laquelle les autorités égyptiennes s’impliquent de plus en plus. Alors qu’à l’ouest, l’ancien parlement libyen soutenu par Fajr Libya tient Tripoli, le gouvernement reconnu par la communauté internationale s’est réfugié à Tobrouk, dans l’est. L’Égypte soutient ouvertement ce dernier.

L’ÉVACUATION DES RESSORTISSANTS ÉGYPTIENS

Le président al Sissi a franchi un pas le 16 février dernier en envoyant ses avions bombarder des positions de Daech (acronyme arabe de l’État islamique) en Libye, au lendemain de la vidéo montrant la décapitation des 21 chrétiens.

Alors que Daech détient encore de nombreux otages, cette escalade militaire a augmenté les craintes des centaines de milliers d’Égyptiens travaillant en Libye. Les autorités égyptiennes conseillent d’ailleurs désormais à leurs ressortissants de ne pas se rendre en Libye, et organisent l’évacuation de ceux qui veulent partir.

« Là-bas, la situation est encore plus difficile pour les Coptes », assure Yousri (1). Ce chrétien, originaire d’Assiout en Haute Égypte, est rentré début mars. « La situation s’est dégradée en juillet 2014, pendant les combats pour l’aéroport de Tripoli, se souvient-il. Je suis resté vingt jours enfermé chez moi. »

45000 RETOURS AU PAYS DEPUIS LA MI-FÉVRIER

Un mois plus tard, plusieurs de ses cousins étaient enlevés près de Syrte. « Des miliciens d’Ansar Al Charia ont arrêté leur voiture après le travail. Les quatre musulmans ont été relâchés, mais on n’a plus de nouvelle des quatre chrétiens », rapporte-t-il. Yousri craint pour leur vie : « Si le gouvernement égyptien agit d’une manière qui ne plaît pas aux ravisseurs, ils risquent d’être tués. »

Malgré cet enlèvement, Yousri n’a pas voulu quitter la Libye. « Là-bas, j’avais un travail qui me rapportait bien », précise ce père de deux enfants, qui travaille lui aussi dans la construction. Après six mois, il a finalement décidé de quitter le pays après la vidéo de l’assassinat des chrétiens diffusée par Daech. Comme lui, environ 45 000 Égyptiens seraient revenus depuis la mi-février, selon des sources officielles citées par des médias égyptiens.

Si la situation sécuritaire s’améliore, « je repartirai en Libye », assure Yousri. De son côté, Mohamed Abdel Aziz espère que le gouvernement égyptien remplira ses promesses : « Il nous a promis du travail et des compensations. Autour de moi, personne n’a rien reçu pour le moment… »

L’ONU espère les « premiers noms » d’un gouvernement d’unité nationale en Libye

L’émissaire de l’ONU pour la Libye, Bernardino Leon, a estimé lundi 23 mars qu’il y avait « une chance » que les parlements libyens rivaux proposent « les premiers noms pour un gouvernement d’unité nationale cette semaine ».

Leurs négociations, qui se déroulent au Maroc sous l’égide des Nations unies, ont été prolongées, malgré l’annonce vendredi 20 mars par le gouvernement de Tobrouk, reconnu par la communauté internationale, d’une offensive pour « libérer » Tripoli. La capitale libyenne est contrôlée depuis août par une coalition hétéroclite de milices, Fajr Libya, qui y a installé son gouvernement et son Parlement.

Par ailleurs, 34 maires et dirigeants locaux libyens ont été conviés pour deux jours à Bruxelles par la chef de la diplomatie de l’Union européenne, Federica Mogherini. Outre l’implantation d’un foyer djihadiste en face des côtes italiennes, l’UE s’inquiète d’un afflux de migrants toujours plus important depuis la Libye.

23/3/15, Rémy Pigaglio

Source : la-croix

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