Les députés marocains ont plaidé, jeudi à Strasbourg, pour l'instauration d'un partenariat solidaire entre le nord et le sud face aux flux migratoires et aux drames qui endeuillent l'espace méditerranéen.
Lors d'un débat d'urgence à la plénière de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe sur la base du rapport ''La tragédie humaine en Méditerranée: une action immédiate est nécessaire'' de Thierry Mariani, les députés marocains ont également souligné que l'approche sécuritaire ne saura venir à bout de cette problématique, en l'absence d'une approche globale et cohérente tenant compte de tous les paramètres.
Dans son intervention, le député Mehdi Bensaid a souligné que ces drames ne sont pas des accidents, ni l'unique résultante de faits criminels perpétrés par des passeurs véreux mais plutôt la conséquence indirecte de la faillite de certains Etats d'Afrique du Nord, des difficultés sécuritaires auxquels d'autres font face, de la pauvreté extrême dans laquelle s'enlisent certaines populations d'Afrique, et d'erreurs d'appréciation commises dans l'élaboration et l'application des politiques et des mécanismes visant à endiguer les départs clandestins vers l'Europe, notamment le fait de laisser aux pays riverains seuls la responsabilité de surveiller leurs frontières.
Le parlementaire marocain a souligné que ''L'Europe des valeurs doit reprendre le pas sur l'Europe de la peur. La justice et l'équité ne sont pas liées à la géographie. La solution n'est pas l'ouverture totale des frontières : elle serait injuste pour l'Afrique et difficile à supporter pour l'Europe. La solution n'est pas non plus dans une approche sécuritaire de tolérance zéro, mais chaque citoyen européen est en droit de savoir que tant que les déséquilibres sont béants, que les échanges n'obéissent à aucune égalité, le fossé entre l'Europe et l'Afrique se creusera et la mer Méditerranée enterrera d'autres rêves et engloutira d'autres corps''.
Sauver les victimes de la Méditerranée passe obligatoirement par la réduction des inégalités entre les deux continents, par l'encouragement des expériences démocratiques en Afrique, car il n'est plus à démontrer que la démocratie agit comme une locomotive de l'économie, à même d'augmenter la prospérité des pays et d'assurer une meilleure répartition des richesses, a-t-il dit.
Prévenir les départs clandestins vers l'Europe passe par un rééquilibrage des partenariats entre les Etats africains et européens, des partenariats gagnant-gagnant, bâtis sur l'égalité et le respect entre les Etats, a-t-il ajouté.
Pour M. Bensaid, ces drames ne sont ni ceux de l'Europe, ni ceux de l'Afrique, ce sont ceux de tous, et c'est ensemble que l'Afrique et l'Europe doivent faire preuve de solidarité afin de mettre un terme à ce qui se joue sous nos yeux, et dont personne ne sortira gagnant.
Le député Mokhtar Ghambou a relevé, pour sa part, l'unanimité des parlementaires de l'Assemblée à considérer que la crise actuelle requiert une approche plus complète, devant réunir les dirigeants des pays du nord comme du sud, afin qu'ils définissent des politiques concrètes.
Prenant appui sur la récente expérience du Maroc, confronté à des flux migratoires en provenance de l'Afrique subsaharienne et du Moyen Orient, il a souligné la nécessité de développer une stratégie fondée sur les trois phases de la migration irrégulière.
La première concerne le pays d'origine dont l'instabilité politique et la crise de l'emploi provoquent le départ de milliers d'hommes, de femmes et d'enfants, par la mise en œuvre d'une coopération économique entre l'Europe et l'Afrique subsaharienne à travers des programmes d'investissement et la réforme des systèmes d'éducation pour promouvoir l'emploi des jeunes notamment, car si l'aide humanitaire peut fournir un soulagement temporaire, elle ne mettra pas un terme à la migration illégale.
La deuxième phase concerne le pays de transit. Les relations bilatérales entre les pays du nord et ceux du sud, des deux côtés de la Méditerranée, doivent être renforcées. L'exemple de l'Accord de coopération pour la sécurité aux frontières, conclu entre l'Espagne et le Maroc est un bon exemple dont pourraient s'inspirer la Libye et l'Italie, d'une part, et la Turquie et la Grèce de l'autre, a-t-il poursuivi.
Enfin, troisième phase, les pays de destination, en l'occurrence les pays européens, doivent se doter de politiques migratoires communes avec une message clair : avons-nous besoin de travailleurs migrants ou non ? Si oui, où ? La mobilité est-elle un droit de l'Homme ou un crime ?
Le député marocain a souligné, par ailleurs, l'urgence d'une conférence internationale devant réunir les chefs d'Etat, les décideurs politiques et les organisations de la société civile de tous les pays riverains de la Méditerranée afin qu'ils réfléchissent ensemble au problème de la migration qui leur est commun, en soulignant que le Maroc se féliciterait d'une telle initiative car la Méditerranée ne doit plus être le lieu où tant de personnes meurent, mais un lieu de solidarité.
Sur le même ton, Mohamed Yatim a relevé que les discours de plusieurs dirigeants européens tournent autour des mêmes idées, épousent la même démarche : comment renforcer les frontières européennes, comment attribuer aux pays du Sud le rôle de gendarme, comment défaire les réseaux mafieux qui exploitent les malheurs d'immigrés fuyant des zones de tension, les guerres civiles et les conditions de vie déplorables, au moment où les Européens devraient plutôt reconnaître leur besoin en main-d'œuvre peu qualifiée et admettre que les réfugiés ont le droit de recevoir une protection.
Le député marocain a rappelé que l'Europe devrait développer davantage de voies légales pour les migrants et les demandeurs d'asile, estimant qu'il est temps pour que l'Europe prenne ses responsabilités pour stabiliser politiquement et économiquement les pays du Sud.
M. Yatim a appelé, par ailleurs, les parlementaires européens par l'intermédiaire des délégations qui siègent au sein de l'APCE d'œuvrer à la ratification de la Convention internationale sur la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille, ''principal outil juridique pour faire respecter les droits de l'Hhomme en la matière'', a-t-il dit.
Le député Mohamed Ameur a relevé, pour sa part, que ce déferlement sans égal des populations depuis la Seconde Guerre mondiale est le résultat de la conjonction de trois facteurs importants : le bouleversement de l'ordre régional et l'effondrement des Etats, tels que la Syrie, l'Irak, la Libye, la pauvreté et la précarité extrêmes qui frappent durement plusieurs régions d'Afrique et enfin, la déstabilisation djihadiste qui sévit dans une large partie de l'Afrique.
Face à l'ampleur du phénomène et de ses multiples ramifications, la lutte contre les réseaux de trafic des êtres humains ne peut être dissociée de la lutte contre les réseaux terroristes. La bataille doit aussi être menée sur le front humanitaire à travers une solidarité agissante envers les personnes en détresse par un accueil dans des conditions dignes.
Cette lutte doit aussi s'opérer sur le front sécuritaire pour le démantèlement des réseaux criminels, à travers une coopération accrue entre les Etats des deux rives de la méditerranée et, enfin, par le développement d'une nouvelle politique migratoire européenne, globale et solidaire, une politique moins hypocrite qui dépasserait la tension existante entre les besoins des entreprises qui souhaiteraient plus de migrants et les souhaits des électeurs qui rejettent les étrangers, a-t-il souligné.
Le député marocain a également estimé que l'Europe devrait œuvrer à désamorcer les conflits et mettre fin aux guerres dévastatrices, soulignant que le cas libyen est une urgence. Le dialogue politique en cours à Rabat, mérite d'être soutenu.
Une action de longue haleine doit être privilégiée en direction des pays d'origine des migrants. Elle doit privilégier les réformes démocratiques, le développement économique, le respect des droits de l'Homme. C'est seulement à travers une telle approche que l'on pourrait assurer une gestion durable de la mobilité, a-t-il ajouté.
De son côté, la parlementaire Nezha El Ouafi a estimé que l'Europe ne pourra jamais être une forteresse car ''c'est contraire à son histoire, à sa géographie et à ses valeurs. Aussi devrait-elle agir pour éviter les tragédies en Méditerranée'', soulignant que le meilleur moyen d'y parvenir est de faire régner plus de justice de part et d'autre de la Méditerranée.
L'Europe devrait définir des pistes de soutien stratégique pour assurer une certaine stabilité géopolitique au Sud, par exemple en appuyant le dialogue politique entre les parties au conflit libyen, qui se déroule à Skhirate, au Maroc, pays qui a assumé ses responsabilités en faisant tout pour favoriser ces discussions, a-t-elle souligné.
Pour l'intervenante, l'Europe devrait aussi contribuer à l'amélioration de la situation en Afrique et au Moyen-Orient, à stimuler l'économie et l'instauration de régimes stables dans les pays d'origine. Cela seul pourra mettre fin aux tragédies en mer et l'Union européenne est appelée à abandonner son protectionnisme et ouvrir ses marchés aux produits agricoles et autres en provenance d'Afrique et du Moyen Orient.
23 avr. 2015
Source : MAP