vendredi 6 décembre 2024 17:32

Détenus radicalisés en France : l’Etat change déjà de cap

Le garde des Sceaux a annoncé mardi la fermeture des unités dédiées aux prisonniers en voie de radicalisation. Elles avaient ouvert en janvier…

Sa décision n’est pas liée à l’agression terroriste de deux surveillants dans l’unité de prévention de la radicalisation (Upra) de la maison d’arrêt d’Osny (Val-d’Oise) en septembre, assure le garde des Sceaux lors d’une conférence de presse organisée mardi au ministère de la Justice.

Elle ne serait pas non plus le signe d’un «échec». Jean-Jacques Urvoas a pourtant décidé de mettre fin aux «unités dédiées», ces structures destinées aux détenus radicalisés, ouvertes en janvier et objet récurrent de polémiques.

L’arrêt soudain de ce que le ministre présente comme une «expérimentation» tiendrait, selon lui, davantage au fruit d’une réflexion de neuf mois - temps de gestation qui aurait été nécessaire à l’évaluation du dispositif. Avec moult précautions, saluant à plusieurs reprises le travail accompli par les surveillants pénitentiaires, insistant sur la nécessité «d’une approche pluridisciplinaire» dans la prise en charge de détenus radicalisés, le ministre de la Justice a donc enterré les Upra.

Pour la suite, Jean-Jacques Urvoas refuse de parler de «déradicalisation», car il n’existe pas de «vaccin» , sans compter que «l’on ignore encore s’il s’agit de basculement ou de processus», mais préfère réfléchir autour d’un «désengagement de la violence».

Une chose est sûre : il s’agit d’un enjeu majeur dans le contexte actuel. En effet, 349 détenus sont incarcérés pour des infractions à caractère terroriste (ils étaient 90 il y a un an). En outre, 1 336 personnes incarcérées ont été identifiées comme radicalisées (contre 700 en 2015) parmi la détention de droit commun.

Le maître mot du garde des Sceaux est désormais la «sécurité», nouvel axe d’intervention pour faire face à «l’inexorable multiplication des écrous», «à la massification de la radicalisation violente».

A quoi servaient les Upra ?

En janvier 2015, après les attentats, le Premier ministre, Manuel Valls, a déployé un plan de lutte contre le terrorisme (Plat) qui prévoyait notamment la création d’unités dédiées (UD) destinées aux détenus radicalisés. L’objectif était «d’éviter d’une part les pressions et la propagation du prosélytisme religieux radical et d’autre part de favoriser la prise en charge des personnes radicalisées».

C’est ainsi qu’entre janvier et mars, cinq unités ont vu le jour, à titre expérimental, dans plusieurs établissements pénitentiaires : Osny (23 places), Fleury-Mérogis (20), Lille-Annœullin (28), Fresnes (26 places : ici l’expérimentation visait à prolonger et développer la structure préexistante). La loi du 3 juin sur la lutte contre le terrorisme a en quelque sorte adoubé le dispositif en le rebaptisant «unités de prise en charge de la radicalisation» et lui donnant un cadre juridique. Cela n’a pas pour autant éteint les polémiques. Depuis l’ouverture de ces unités, deux philosophies s’affrontent : la première qui préconise le regroupement des détenus radicalisés afin d’apaiser le reste de la détention et entraver le prosélytisme. La seconde qui juge cette concentration dangereuse et incompatible avec une prise en charge individuelle. Le ministre semble donc avoir tranché la question.

Quel plan de rechange ?

Des «unités dédiées» vont céder la place à six «quartiers d’évaluation de la radicalisation» (QER). Quatre d’entre eux seront déployés dans les anciennes Upra de Fresnes, Osny et de Fleury-Mérogis (dont une structure spécifique pour les femmes dans cet établissement) au premier trimestre 2017. Deux autres verront le jour à Bordeaux et Marseille en 2018.

Le but ? Accueillir environ 120 personnes pendant quatre mois qui évolueront sous l’œil d’éducateurs, de psychologues, de personnels d’insertion et de probation et des surveillants. A l’issue de ce séjour, «les plus prosélytes seront incarcérés dans des conditions de détention qui répondront aux exigences élevées de sécurité», indique Jean-Jacques Urvoas, sans préciser quels seront les mécanismes d’évaluation mis en place.

Dans la pratique, cela signifie que «les plus durs» iront rejoindre les 300 places de prison qui leur sont réservées. Le ministre prévoit une centaine de places en maisons centrales dans six quartiers pour détenus violents (QVD). A ce dispositif s’ajouteront 190 places d’isolement à la fois dans des maisons d’arrêt et des établissements pour longue peine. Des règles de sécurité strictes seront appliquées : fouilles régulières, changements de cellule récurrents, limitation des effets personnels…

Enfin, les détenus dont le profil est moins alarmant et ne «nécessite pas l’encadrement maximum» seront pris en charge dans 27 établissements, dans des conditions de détention ordinaires mais avec une sécurité tout de même supérieure à celle des détenus de droit commun.

Comment les détenus seront pris en charge ?

Le ministre précise que «des programmes de prise en charge verront le jour et s’adapteront au profil des personnes détenues». C’est ainsi que, par exemple, les 190 détenus à l’isolement feront l’objet «d’un suivi personnalisé, d’une prise en charge spécifique et d’une évaluation au moins bisannuelle».

Pour ceux qui seront incarcérés dans les 27 établissements, le ministre mise sur «un désistement par une assimilation et un phénomène mimétique, voire par pression sociale». Leur suivi comprendra un programme individualisé «de désengagement de la violence», qui associera leur famille et sera axé sur la réinsertion professionnelle. Aucun détail plus précis n’a été donné quant au contenu.

Le garde des Sceaux précise que l’ensemble du dispositif reste expérimental. Citant Kant dans son rapport, il souligne : «Dans un bois aussi courbe que celui dont est fait l’homme, on ne peut rien tailler de tout à fait droit.»

25 octobre 2016, Julie Brafman

Source : Libération

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