Colin Kaepernick qui boycotte l'hymne américain, LeBron James qui soutient Hillary Clinton dans la course à la Maison Blanche: plusieurs sportifs américains de renom font entendre leur voix dans le débat politique, à rebours de décennies de silence incarnées par la megastar du sport-business, Michael Jordan.
Avec San Francisco, Kaepernick a disputé en février 2013 le Super Bowl, la finale de la Ligue nationale de football américain (NFL), mais jamais jusqu'à fin septembre il n'avait fait la Une de Time, le prestigieux hebdomadaire américain.
Pour décrocher cet honneur, rare pour un sportif, Kaepernick, un métis de 28 ans coiffé d'une imposante coupe afro, a fait un geste sacrilège aux Etats-Unis: depuis le coup d'envoi de la saison, lorsque résonne, avant chaque match de son équipe, l'hymne, le "Star-Spangled Banner" (La Bannière étoilée), le quarterback pose un genou à terre, en signe de défiance à un pays qui, selon lui, opprime la communauté noire.
S'il est désormais conspué par une partie des stades où il joue et a reçu des menaces de mort, Kaepernick n'est pas isolé: il a notamment reçu le soutien de Tommie Smith, qui, lors des JO-1968 de Mexico, avait brandi un poing ganté de noir aux côtés de John Carlos sur le podium du 200 m pour protester contre la ségrégation raciale.
"Il est vilipendé, car il dit la vérité, il faut agir et ne pas rester assis sans rien faire (...), il y a encore beaucoup de batailles à mener, la guerre sera longue", regrettait récemment Smith dans le journal USA Today.
Le boycott de Kaepernick a fait tache d'huile chez d'autres équipes de la NFL, dans d'autres sports aussi comme le basket et le football féminins.
"Nous assistons à une sorte de renaissance de l'idée du sportif-engagé, ce nouvel activisme marque un changement radical par rapport à ce qu'il se faisait lors des vingt dernières années", constate Orin Starn, professeur d'anthropologie culturelle à l'université Duke.
"Alors que dans les années 1960 et 1970, des sportifs très connus comme Mohamed Ali, Billie Jean King et John Carlos s'engageaient sur des questions sociales et politiques, comme les injustices sociales et les droits civiques, à partir des années 1980, on a vu l'émergence du sportif-businessman qui s'intéressait plus à ses sponsors, à devenir le meilleur possible, faisant parfois des dons à des causes ne suscitant pas la controverse", analyse l'universitaire.
Michael Jordan qui, dans les années 1990, a remporté six titres de champion NBA avec les Chicago Bulls et fait exploser la popularité du basket à travers le monde, est l'archétype du "sportif-businessman" à qui l'on a attribué la phrase "Les Républicains aussi achètent des baskets" pour justifier son absence des débats politiques.
"Jordan était concentré sur son ambition de devenir le meilleur joueur de l'histoire et sur ses contrats avec Nike. Il a défini un cadre pour toute une génération de sportifs. Le golfeur Tiger Woods a suivi l'exemple de Jordan en évitant d'aborder tout sujet délicat", rappelle Orin Starn.
Quelques semaines avant Kaepernick, LeBron James, pendant de Michael Jordan par son palmarès et sa popularité pour les années 2000, et trois autres stars de la NBA avaient dénoncé les violences policières qui ont conduit aux morts brutales de Noirs non armés, dénoncées dans des manifestations à travers tous les Etats-Unis du mouvement "Black Lives Matter" (littéralement, les vies noires comptent).
"Le système est cassé (...) il faut que cela cesse", avait-il lancé lors d'une prestigieuse cérémonie de remise de prix récompensant les meilleurs sportifs.
"King James" s'est aussi engagé dans la campagne présidentielle en soutien de la candidate démocrate Hillary Clinton, opposée à Donald Trump.
"LeBron a toujours été un citoyen engagé, mais il ne sera jamais l'animal politique qu'était Mohamed Ali", estime Orin Starn, en notant que "les sportifs engagés restaient une minorité".
"La question est de savoir si ce nouvel engagement des sportifs ira au-delà du problème des jeunes Noirs tués par la police: est-ce que Kaepernick va inciter des sportifs à s'engager sur des dossiers comme la Syrie, la pauvreté aux Etats-Unis, les dangers d'une victoire de Trump?", s'interroge l'universitaire.
Un élément de réponse a déjà été donné début octobre après le deuxième débat présidentiel où Trump a justifié ses propos dégradants sur les femmes, en les qualifiant de "discussions de vestiaires".
Plusieurs sportifs de renom ont réagi, sur Twitter, pour assurer qu'ils n'avaient jamais entendu de tels propos dans leurs vestiaires, mais aucun n'a appelé à faire barrage à Trump.
27 oct 2016
Source : AFP