Les migrants ne sont pas que des chiffres, ils attendent la résolution de leur dossier dans les camps et dans le froid de cet hiver qui commence. Les pays périphériques, Italie et Grèce,ont le lourd fardeau de la gestion des migrants. Pour les autres pays européens c’est « Not in my backyard »…
Ce lundi 31 octobre, Yannis Mouzalas, Secrétaire d’Etat au Ministère de l’Immigration du gouvernement grec, accompagne 100 réfugiés à l’aéroport. Après des mois d’attente de leur demande d’asile ou de regroupement familial, les migrants ont la possibilité de quitter Athènes en avion. Il faut savoir qu’il arrive en moyenne quotidiennement 120 à 150 migrants par jour et qu’ils sont au nombre de 65 000 en Grèce. Les chiffres parlent d’eux-mêmes. En première ligne de cet immense problème migratoire, Yannis Mouzalas, Maria Stavropoulos, directrice du Service de demande d’asile, demandent à l’Europe de respecter les règles qu’elle a elle-même fixées et de faire preuve de plus de coopération et de solidarité.
L’accord entre la Turquie et l’Europe, prévoyant après le 20 mars 2016 le renvoi de tout migrant illégal de la Grèce vers la Turquie, a pour but de réduire la migration vers l’Europe. Mais l’Europe s’est-elle donné les moyens de cette politique migratoire ? Cette politique migratoire est-elle seulement possible ? Comment peut-on décider du sort d’êtres humains ?
Le problème est gravissime entre des pays dont la sécurité n’est pas assurée, demandez à un Turc comment il se sent en Turquie actuellement et des pays qui pensent que les sommes d’argent allouées aux problèmes les règleront. L’agence de l’Union Européenne, EASO (European Asylum Support Office), doit gérer avec les autorités grecques les dossiers des demandeurs d’asile, pour les îles 13 500 dossiers en 2015 et pour les neuf premiers mois de 2016, 7000 dossiers ont déjà été étudiés. De ces derniers, 2000 demandes d’asile ont été rejetées et supposent un retour immédiat en Turquie, 2 500 autres sont rejetées mais le retour en Turquie est différé…
Le service de traitement des dossiers parvient à gérer seulement 300 dossiers par semaine. Ce qui est peu, très peu, comme le regrette Yannis Kourtis, Directeur du camp de Moria à Lesbos : « Á ce rythme-là, il nous faut deux ans et demi pour traiter les demandes des migrants qui sont aujourd’hui dans le camp !»
Pourquoi une telle lenteur dans le traitement des dossiers ? Alors que le jour même de l’annonce de l’accord entre l’Europe et la Turquie, 400 fonctionnaires avaient été promis pour aider la Grèce. Aujourd’hui, on dénombre 35 employés EASO dans les îles, 80 au total avec l’aide de quelques policiers grecs. Or pour Maria Stavropoulos, « Il s’agit des plus délicats, des plus complexes, des plus sérieux des dossiers qu’un Etat ait à traiter en politique migratoire », a-t-elle déclaré lors d’une intervention télévisée CNN Grèce du 28 octobre 2016. Au début, il y avait 7 points de travail, « hotspots », aujourd’hui 19. Alors qu’elle n’a pas la possibilité d’embaucher de nouveaux fonctionnaires puisque cela ne lui est pas permis par les clauses des créanciers de la Grèce dans cette période durable d’austérité, il lui reste la possibilité d’employer du personnel sur des programmes d’aides européennes, elle aurait immédiatement besoin de 120 personnes dont la moitié sur les îles. Il faudrait absolument doubler le personnel en place et surtout le former car les difficultés sont nombreuses, complexes et humaines.
L’Union européenne n’épaule pas la Grèce dans ces périodes difficiles. Des aides sont réclamées fréquemment devant l’urgence : en 2015, il y a eu 13 500 demandes d’asile, jusqu’à octobre 2016 : 35 000. La Grèce, comme elle est obligée de le faire, applique les règles européennes et demande aux autres États membres d’assurer leurs responsabilités. Entre l’Allemagne, l’Italie et la France, c’est la Grèce qui a le plus de demandes d’asile. La relocalisation des migrants ne fonctionne pas, le taux d’acceptation des dossiers est très faible. Les raisons invoquées par les États membres peuvent être techniques : nos fonctionnaires n’ont pas assez de temps pour absorber la charge de travail du traitement des dossiers, ou encore sécuritaires. Tiens donc !
Pour Maria Stavropoulos, l’expression anglaise : « Not in my back yard » convient bien à la politique de l’autruche de l’Union européenne. Cette expression, au syndrome acronyme de NIMBY, caractérise les gens qui ne veulent pas chez eux de ce qui peut améliorer le bien-être de tous. Il est cependant regrettable d’en arriver au stade où les États membres sont satisfaits de ne plus avoir à faire face à ce problème parce qu’ils le relèguent en périphérie et essaient de l’y maintenir pour qu’il ne les affecte pas.
Néanmoins la Grèce demande aux autres pays européens de respecter les décisions du Conseil européen de septembre 2015 et d’accueillir 200 migrants par jour.
« Jusqu’à aujourd’hui 4 500 migrants ont quitté la Grèce, il en reste autant à partir. Les demandes ont été faites et nous attendons encore les réponses. C’est un non-respect des décisions européennes et cela provoque du retard dans le traitement des dossiers », ajoute Maria Stavropoulos. Les migrants attendent. Sous les tentes. Dans le froid. Les centres sont pleins. Les déceptions immenses et les tentatives de suicides plus fréquentes.
Pourtant, la Grèce n’est pas responsable des délais qui s’allongent et qui provoquent des tensions dans les camps et parfois des actes de violence.
Les solutions immédiates pour débloquer la situation qui empire sont connues de tous : augmenter le nombre des départs, (c’est mathématique et devrait être compris des bureaucrates européens), instaurer une entente réelle entre l’Europe et la Turquie pour le traitement direct des personnes (sans passer par la case Grèce), doubler le nombre des fonctionnaires surtout dans les îles, améliorer les conditions de vie dans les camps.
La Grèce parce qu’elle a une place géopolitiquement difficile paie le prix fort des problèmes humains liés à la migration. Elle est le « back yard » de l’Europe mais jusqu’à quand ?
31 oct. 2016, Agnes matra
Source : Mediapart