vendredi 27 décembre 2024 03:03

Agadez au Niger, l'escale des migrants sur le chemin de l'Europe

"C’est un bidon d'eau, pour tenir quatre jours dans le désert. Dans mon sac, j'ai mis un masque pour me protéger du vent et du sable. Il y a là mon passeport, quelques vêtements. Et puis, mon tapis pour prier, le matin et le soir. Parce que l'on sait que la route n'est pas facile". Son projet ancré dans la tête. Un petit sac pour seul bagage. Salif a 17 ans, il vient du Mali. Tout est prêt pour la traversée du désert, direction la Libye. Sa destination finale est l'Europe. "Mon rêve, c’est de jouer du football. J’ai laissé tomber l’école pour ça et je sais que je vais pouvoir exploiter mon talent en Europe".

Comme Salif, ils sont des dizaines de milliers d’hommes, venus d’Afrique de l’Ouest, à rêver d'Europe et à faire escale à Agadez, chaque année. Cette ville du centre du Niger est la Porte du désert. Classée au Patrimoine Mondial de l'UNESCO, elle drainait de nombreux touristes. Mais l'insécurité a tout changé. C'est maintenant la migration le moteur économique de la ville. Aux quatre coins de la ville, les migrants s'installent dans ce que l'on appelle des ghettos.

"Nous, les jeunes, on ne peut pas rester les bras croisés"

Pour entrer, il faut pousser de grandes portes métalliques. Le ghetto est une baraque en argile rouge, aux conditions sommaires. "Vous pouvez entrer et venir voir où nous dormons... Regardez, plus de 50-60 personnes dorment ici. C’est notre chambre, on dort à même le sol, on n’a pas de lit ". Chemise ouverte, c'est Abdul qui joue les guides: "Je viens de Gambie et j'ai quitté seul mon pays, il y a un mois. J'ai décidé de partir en raison de la pauvreté, du manque de travail. J'ai essayé d'en trouver, mais c'est impossible. Je n'ai pas terminé l'école. Je viens d'une famille pauvre. Si tu n'es pas riche dans nos pays, tu ne vas pas à l'école. C'est la pauvreté qui fait que nous sommes tous ici"!

Dans le ghetto, certains migrants ne sont pas allés à l'école. D'autres ont eu la chance d'étudier, parfois à l'université. Certains sortent à peine de l'adolescence. D'autres sont mariés, comme Boubacar. Il est Sénégalais et a la trentaine: "Je suis marié, j'ai deux enfants. Nous sommes là parce que nous avons des rêves à réaliser, nous voulons aller en Europe. On se sacrifie pour y aller. En Afrique, on souffre de la pauvreté. L’Afrique est pauvre, tout le monde le sait. L’Afrique n’avance pas. Nous, les jeunes, on sort pour aller chercher de l'aide, pour que l’Afrique puisse se développer. On ne peut pas rester les bras croisés. On ne peut pas rester dans une situation où ta mère et ton père te nourrissent toi et tes enfants. Pour nous, c'est honteux ça! Alors, tu te sacrifies".

La route de l'exil est semée d'épreuves

Partir. Qu’importe les risques. Les migrants en ont conscience. La route de l’exil est longue et semée d’épreuves. Jusqu’à la frontière libyenne, elle est pourtant légale. Les migrants peuvent circuler librement dans la CEDEAO, la Communauté économique des Etats d'Afrique de l’Ouest. Pourtant, sur le chemin, on leur soutire de l’argent. Le Burkina Faso revient dans toutes les conversations. Boubacar nous explique: "En quittant de chez nous, pour prendre la route, on a déjà tout vu. Surtout au Burkina, là-bas, c'était l'enfer. On nous a traités comme des chiens là-bas. Comme si nous n'étions pas des Africains comme eux, des êtres humains". Amada est le responsable du ghetto, il détaille: "La police au Burkina, elle dit que l’on passera seulement si on lui donne de l’argent. Là-bas, ils n’ont aucun respect ni pour les hommes ni pour les femmes. Ils vous déshabillent, pour trouver de l’argent. Donc vous ne pouvez même pas le cacher. Les migrants souffrent beaucoup sur la route. Ils sont battus".

Attendre que la famille envoie de l'argent

Les poches vides, dans les ghettos, chacun attend des nouvelles de sa famille, qui se cotise pour financer la suite du voyage. Une grosse somme. Pour rejoindre la Libye, il faut compter entre 3 et 500 euros. Abdul s’arme de patience: "Ici, on gère. On s’aide, les uns les autres. J’appelle ma famille pour qu’elle m’aide. Mais pour l’instant, rien ne se passe. Je pense qu’ils vont m’envoyer un jour de l’argent, quand ils en auront. Mais tu sais, ils n’ont pas l’argent pour en même temps, nourrir les enfants et pour m’aider. On cherche du travail ici mais il n’y en a pas. Notre projet, si on a de l’argent, c’est d’aller en Libye. On travaille là-bas, et on bouge plus loin". Abdul ne sait pas combien de temps il va attendre à Agadez. "Seulement Dieu le sait. Personne ne sait de quoi sera fait demain. Peut-être dans une semaine, ou 2, le mois ou l’année prochaine. Personne ne sait".

Alors, le temps s’écoule lentement… Sous un soleil de plomb. Les appels à la famille et les prières rythment la journée. Les visites de l’ONG Médecins du Monde soutenue par l’opération 11.11.11. aussi.

Les visites de l'ONG Médecins du Monde, soutenue par l'opération 11.11.11.

La centaine de ghettos que compte Agadez, Suzette les connaît comme sa poche. La soixantaine, une présence solaire, elle est travailleuse sociale chez l'ONG Médecins du Monde. "Nous, on fait le tour des ghettos, nous entrons dedans. Pour le faire, il fallu gagner la confiance des responsables de ghettos mais aussi des migrants. Maintenant, on est comme des frères, on est très bien accueilli. On les écoute. On fait des groupes de parole, s'ils sont nerveux ou stressés. Cela doit leur permettre d'évacuer tout ce qui est en train de tourner dans leur tête".

Médecins du Monde sillonne aussi les ghettos avec son unité mobile. L’ONG installe un paravent et une table de consultation dans un coin discret du ghetto. Zeina est infirmière et c'est elle qui ausculte les migrants: " Les douleurs dont ils souffrent, ce sont surtout des douleurs lombaires, thoraciques. C'est surtout dû au voyage. Quand ils entrent dans des véhicules, ils sont nombreux, coincés. Il y a aussi des troubles gastro-entérites. Et avec le changement climatique, il fait très chaud. Ça leur cause des problèmes respiratoires. Vous allez voir, aujourd'hui, il fait chaud, il fait plus de 40 degrés à l'ombre. Et la nuit, ça tombe à 20 degrés. Et c'est ce qui entraîne ces problèmes respiratoires". Zeina prescrit trois médicaments à Boubacar et lui souhaite bon voyage.

De plus en plus de contrôles pour freiner les départs

Avant, les départs s’organisaient au vu et au su de tout le monde, chaque lundi soir. Les pick-ups partaient en convoi vers le désert. Mais depuis plusieurs semaines, tout a changé. Les contrôles se multiplient. Ils visent les passeurs, ou plutôt "les chauffeurs". Alassane est l'un d'eux. Nous le rencontrons à l’écart de la ville: "Ces contrôles ont commencé au mois d’août, avec les patrouilles mixtes de policiers, de gendarmes et de militaires qui ratissent la zone. Leur objectif, ce sont les passeurs et les véhicules. Ils ne font rien aux migrants". Les passeurs encourent 5 à 10 ans de prison. Alors, ils sont nombreux à abandonner leur activité. C’est le cas d’Alassane. Trop de risques pour brouiller les pistes dans le désert: "Maintenant personne ne passe par un poste de police, on se fraie une route nous-mêmes, on contourne les postes de contrôle, on roule les phares éteints la nuit, pour ne pas être aperçus par les autorités. Si la police est informée que les migrants sont là, elle les ramène".

Ajouter du risque au risque, puisque la traversée du désert est déjà périlleuse, sans cela. Une panne peut être fatale et les accidents sont fréquents: "Le danger, c’est de rencontrer des dunes coupées, elles vous prennent par surprise. Et quand vous arrivez, vous ne pouvez plus freiner le véhicule qui arrive à 120-130 km/h. Du coup, le véhicule se renverse, certains migrants meurent sur place, d’autres se blessent et là il faut relever le véhicule et chercher un village le plus proche pour soigner les personnes blessées". Alassane évoque aussi le risque de croiser des bandits.

Des migrants devenus une marchandise comme une autre

Ici, à Agadez, on devine que ces contrôles sont un premier effet de l’accord scellé il y a tout juste un an entre le Niger, ses voisins et l’Union européenne. Les 28 leur demandent de dissuader les jeunes de partir vers l’Europe, en finançant des projets de développement mais aussi et surtout, en organisant des contrôles.

Rhissa Feltou est le maire de la ville d’Agadez. Élégant dans son turban, il affirme qu’il n’a pas encore vu passer l’argent européen. Or, le Niger est un pays vaste, et encerclé par des groupes terroristes. Ces deux dernières semaines, le pays a subi trois attaques. Pour Rhissa Feltou, freiner les migrants n’est pas la priorité. Et de toute façon, ce n’est pas efficace: "Plus l’Europe ferme ses frontières et plus le migrant aura une plus-value pour les passeurs . Tant que l’Union européenne continuera à fermer ses frontières, l’immigration aura de beaux jours devant elle. C'est comme la drogue. Les pays les plus puissants ont mis tant de moyens pour la freiner, mais elle persiste, avec tous les trafics qui vont avec".

La comparaison n’est pas hasardeuse. Il y a au-delà de passeurs, comme Alassane, des réseaux criminels qui tirent les ficelles de ce trafic d'êtres humains. Le maire d’Agadez s’inquiète de la tournure que prend cette migration clandestine. "Aujourd'hui, de par le phénomène d’insécurité et de dégradation de l’Etat en Libye, et puis avec les moyens de communication modernes, c’est devenu un trafic contrôlé par quelques personnes. Elles trouvent les moyens d'acheminer les migrants dans le désert, en Libye, puis en Europe. Et cela se fait très facilement, c’est devenu un produit de vente. Une trentaine de migrants, ça se passe de téléphone en téléphone, comme la bourse. C'est triste de le dire comme ça. Ces organisations criminelles sont devenues très importantes et veulent contrôler en plus de leurs trafics, le trafic d'hommes".

La Libye, un enfer pour les migrants

Ces réseaux s’étirent jusqu’en Libye. Sans Etat qui fonctionne, ils s’enrichissent, en toute impunité sur le dos des migrants. Folé en a fait l’expérience. Il est resté deux mois, prisonnier de milices, avec des centaines d’autres migrants. Il nous raconte: "Je suis allé en Libye. Ils m’ont attrapé et ils m’ont mis en prison pendant deux mois. Des inconnus m’ont demandé beaucoup d’argent. Mais ma famille n’a pas cet argent. Des gens m’ont aidé à sortir. Il y a plus de 4000 personnes retenues dans cette prison à Tripoli. Ils souffrent. Tous les jours, ils battent les gens. Et ils exigent de l’argent. Il y a des migrants qui deviennent fous. Les geôliers mettent tout le monde au sol, ils en choisissent quelques-uns, les emmènent dehors et commencent à tirer. Ils exigent de l’argent. Comme ça, vous avez peur. Et vous appelez votre famille pour qu’elle vous en envoie le plus vite possible. Vraiment, ce pays n’est pas tranquille…".

Sous le choc, Folé a décidé de rebrousser chemin et de rentrer au Sierra Leone. A Agadez, c’est le Centre de transit de l’OIM, l’Organisation Internationale pour les Migrations qui l’a recueilli. Il fonctionne depuis quelques mois à peine, grâce à des fonds européens. Ousseini Djibo en est le gestionnaire: "Ceux qui viennent ici dans le centre, ce sont des migrants de retour. Et généralement, de retour volontaire. Ils sont diminués, et dans le dénuement le plus complet. Ils ne peuvent pas rentrer chez eux. Donc, ces gens-là, nous les enregistrons et nous faisons en sorte qu'ils rentrent dans la paix et dans le calme".

L'accueil et la rengaine de l'Organisation Internationale pour les Migrations

Dans la grande cour du centre, il y a aussi quelques femmes. Assise sous un hangar en robe de nuit, Caroline raccommode un pantalon. Elle est impatiente de rentrer chez elle au Nigéria, après avoir passé 10 mois en Libye. " Je suis venue ici par mes propres moyens. Parce que l’expérience que j’ai eue était vraiment mauvaise. Il y a beaucoup de choses qui s’y passent, et vous le savez ! La façon dont ils traitent les gens. Ils ne nous considèrent pas comme des êtres humains. Les Arabes, ils maltraitent les étrangers. Ils vous parlent n’importe comment. Ils peuvent vous faire n’importe quoi. Et ils le font librement, parce que personne n’est là pour les punir ou les arrêter. En ce qui me concerne, je devais gérer le restaurant de mon oncle. Mais à la fin de la journée, il me disait que je devais le payer en retour. Vous comprenez ! Je ne vais pas vous mentir. En Libye, pour les femmes, il n’y a pas de travail. Il y en a juste quelques-unes qui font les cheveux ou la couture. Juste quelques-unes. Pour le reste, toutes les Nigérianes, les Camerounaises. Tout ce qu’elles font, c’est se prostituer c’est tout".

C’est ici aussi qu’échouent des migrants refoulés par l’Algérie. Un convoi les ramènera à Niamey, la capitale. Pour les retours volontaires, comme forcés, c'est une étape difficile. Hassan est psychologue au centre de l'OIM: "Même physiquement, certains sont très fatigués, ils ont fait des centaines de kilomètres à pied. Ils sont déshydratés, mal nourris et vraiment, sur le plan psychologique, c’est déplorable". Romaric est avachi sur un banc. Il est Camerounais. "Je me sens mal, je n’ai pas le choix, je suis obligé de faire demi-tour. Romaric ne sait pas comment va réagir sa famille. Il appréhende sa réaction: "J’ai peur parce que la famille a dépensé pour moi pour que je puisse aller en Europe et je n'ai pas pu et je rentre sans rendement. C'est pour ça que j'ai peur". Au centre, Romaric lit la bible. Il joue aux damiers, ou au football.

L'Europe toujours dans la tête, mais par la voie légale.

Pour tuer le temps, d’autres décident de se former. L’OIM propose des formations, comme celle de gestion en entreprise. Mais ceux qui la suivent ne se font pas vraiment d’illusion. L’avenir n’est pas au pays. Ils continuent à rêver d’Europe, mais autrement. "Maintenant, nous, on a décidé de ne plus venir par la voie routière. Parce qu'ici, c'est la merde, c'est la voie de l'enfer, peut-être pire que l'enfer. On va migrer par la voie aérienne, avec des visas".

Retourner chez eux. Puis migrer légalement. C’est devenu une rengaine que répètent les migrants du centre. Et c’est aussi l’idée que l’OIM tente de diffuser dans les ghettos et dans la tête de ceux qui sont sur le départ. Ousseini Djibo, le gestionnaire du centre, sait pourtant qu’il prêche dans le désert… Et quelque part, c'est surtout à l'Union européenne qu'il s'adresse: "L'Union européenne ferme ses frontières et fait une migration choisie. Mais combien d’Africains peuvent réellement aller en Europe ? Et combien veulent-y aller ? C’est la migration que l’on ne veut pas. Mais l’Europe a besoin de cette main d’œuvre. Qu'elle fasse en sorte que ça se passe dans la dignité. Et sans perte de vie. Il faut légaliser la migration".

En attendant, dans la ville, discrètement, on voit des picks-up blancs, prêts à embarquer à l’arrière une vingtaine de migrants. Dans les ghettos, la boussole de Boubacar, Abdul, Salif et les autres indiquent toujours le Nord. Quel qu’en soit le prix ou l’itinéraire. Salif va patienter un peu, puis prendre une autre route: "Je vais attendre un peu à Agadez et si ça ne passe pas, je prendrai une autre route, l'Algérie peut-être. Je n'abandonnerai pas. Je vais encore tenter ma chance". Boubacar aussi est déterminé: "Quand tu quittes ta maison, tu es prêt à tout, jusqu'à un point final. On se sacrifie pour nos familles".

 1 novembre 2016, Ariane Dufrane et Aline Wavreille

Source : rtbf.be

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