Selon un rapport d'Éric Ciotti, le droit d'asile en France est devenu un puits sans fond, malgré une refonte en 2015. Explications.
Alors que l'évacuation de la « jungle » de Calais est présentée comme une réussite, alors que celle de Stalingrad à Paris se prépare, la dérive budgétaire du droit d'asile et son contournement par des procédures trop longues et inappropriées se poursuit. C'est ce qui ressort de la lecture d'un rapport signé Éric Ciotti, à l'occasion du vote de la loi de finances 2017 : on y découvre que le budget de l'asile, de l'immigration et de l'intégration connaît une flambée : 1,182 milliard d'euros en autorisation d'engagement, soit + 47 %, et 1,056 milliard d'euros en crédits de paiement (+ 31,3 %). Une inflation qui suit la courbe des demandes d'asile, en constante hausse : 61 468 demandes en 2012, 66 252 en 2013, 64 811 en 2014, 80 075 en 2015... La France, dans les mêmes eaux que l'Italie, est toutefois moins touchée que quatre autres pays d'Europe (l'Allemagne avec 476 510 demandeurs en 2015, la Hongrie avec 177 130 en 2015, la Suède avec 162 150, l'Autriche avec 88 160).
En vérité, le budget français est régulièrement sous-évalué par rapport à la demande de crédits nécessaire. Prenons l'allocation pour demandeur d'asile (entre 6,80 euros par personne et 17 euros pour un ménage de 4 personnes), l'an passé, le gouvernement prévoyait de dépenser au total 137,5 millions d'euros pour 44 800 bénéficiaires. Dans la réalité, l'exécution pour l'année 2016 a été de... 315 millions d'euros, soit plus du double ! C'est en tout cas ce que révèlent les investigations du député LR Éric Ciotti quand il interroge le ministère de l'Intérieur.
Le parcours type d'un débouté du droit d'asile : 5 ans de procédure
On pourrait se dire que ce n'est qu'une erreur d'appréciation et qu'en 2017, Bernard Cazeneuve va en tirer les leçons et réajuster les crédits. Mais non ! On constate que pour 2017, le gouvernement n'a prévu de dépenser que 220 millions d'euros pour 72 000 bénéficiaires mensuels. Une sous-estimation constante depuis 2012, note Ciotti, laquelle n'a pas non plus échappé à la Cour des comptes dans sa note d'analyse budgétaire sur les années 2014 et 2015. L'insincérité des comptes devient un problème politique. Il faut ouvrir les yeux : l'asile en France est à la dérive...
La procédure d'examen des demandes d'asile est beaucoup trop longue. « Avec les multiples recours, le parcours type d'un débouté du droit d'asile s'étale sur 5 ans. En 5 ans, on a le temps de fonder une famille avec enfants et dès lors la procédure d'éloignement devient quasi impossible, » constate, navré, Éric Ciotti. Le gouvernement Valls s'est penché sur le problème de la première demande d'asile en dotant l'OFPRA de moyens supplémentaires. Cet organisme s'était vu assigner, en 2015, l'objectif de traiter les demandes en 90 jours. Les choses ne se sont pas passées aussi simplement : de 203 jours en 2014, on est passé en 2015 à... 216 jours. Heureusement, en 2016, les délais se sont réduits à 140 jours. Si les demandes d'asile n'augmentent pas de plus 15 à 20 %, les 90 jours devraient être atteints en 2017 par l'OFPRA.
« Une incitation à la fraude » (Ciotti)
Mais, en vérité, il faudrait mieux encadrer les nombreux recours. Actuellement, un étranger qui pénètre en France peut déposer sa première demande d'asile à n'importe quel moment. Donc, il peut attendre plusieurs mois après son arrivée dans l'Hexagone... « C'est une incitation à la fraude », dénonce Éric Ciotti qui propose d'imposer un délai maximum de 7 jours pour déposer sa demande d'asile à compter de l'arrivée sur le territoire national.
Deuxième amélioration possible : créer une procédure accélérée pour ce que la France considère comme des « pays sûrs », définis par la loi et non plus par l'OFPRA, de sorte que les obligations de quitter le territoire français (OQTF) soient appliquées rapidement à l'égard de leurs ressortissants. Ciotti propose également de supprimer le recours suspensif devant la Cour nationale du droit d'asile instauré par Bernard Cazeneuve dans la loi du 29 juillet 2015. « Il faudrait que la décision négative de l'OFPRA vaille OQTF », précise-t-il.
Après la demande d'asile, d'autres demandes à d'autres titres
Actuellement, si la Cour nationale du droit d'asile rejette le pourvoi, une nouvelle OQTF est prise par la préfecture. Mais le débouté du droit d'asile peut à nouveau la contester devant le tribunal administratif, ce qui prolonge les délais de 6 mois... Puis, il peut se pourvoir devant la Cour d'appel administrative. Ce sont 4 ans supplémentaires pendant lesquels le débouté du droit d'asile (qui n'a donc pas vu ses droits de réfugiés reconnus valablement) peut librement circuler en France, y fonder une famille, ce qui rendra son expulsion très improbable au bout du compte.
Admettons qu'au bout de 4 ans, la Cour d'appel le déboute à nouveau, les recours ne sont pas épuisés. Le débouté du droit d'asile peut, dans ce cas, déposer une nouvelle demande de titre de séjour en tant qu'« étranger malade ». Cette demande incidente va nécessiter un avis médical. Si le médecin constate que la maladie prétendue est fallacieuse, une nouvelle OQTF sera prononcée, laquelle peut de nouveau être contestée devant le tribunal administratif... On n'en sort plus ! D'autant plus que le « patient » n'est pas placé en centre de rétention, mais seulement assigné à résidence. Il sera toujours temps, si le débouté a eu la chance d'épouser un citoyen ou une citoyenne française, de déposer une demande de naturalisation (qui suppose 4 ans de mariage ou de vie commune).
La procédure « Dublin » très peu efficace en France
Il ne faut pas s'étonner qu'au final, très peu d'OQTF soient exécutées : sur les 21 490 demandeurs d'asile déboutés en 2015, seulement 1 639 ont été reconduits à la frontière, soit 7,6 % du total. Toutefois, ce faible pourcentage ne prend pas en compte les départs volontaires, les éloignements pour d'autres motifs et les départs via une frontière intérieure de l'espace Schengen.
Il existe également, ce que l'on appelle une « procédure Dublin » entre partenaires européens, en vertu de laquelle nos voisins en Europe devaient prendre en charge ou reprendre en charge l'examen de 7 846 demandeurs d'asile en 2015. Le rapport Ciotti constate que seulement 526 ont été effectivement transférés. Pour Ciotti, c'est le signe même de « l'impuissance du gouvernement à faire face à la crise migratoire que nous connaissons depuis maintenant trois ans. »
01/11/2016, EMMANUEL BERRETTA
Source : lepoint.fr