Plusieurs milliers de personnes vivant sous des tentes dans le nord-est de la capitale devraient être relogées ce vendredi. Mais les pouvoirs publics peinent à trouver les places d'hébergement nécessaires.
Un triste record pour la trentième. A 6 heures ce vendredi matin, les autorités ont démarré l’évacuation du campement de migrants de Stalingrad, dans le nord-est de Paris. Entre 3 000 et 3 500 personnes pourraient bénéficier de cette opération de «mise à l’abri», selon la terminologie officielle, le chiffre le plus élevé depuis la première évacuation de ce type, en juin 2015, aux abords du métro La Chapelle.
En près de dix-huit mois, le visage de ce secteur proche de la gare du Nord a été profondément modifié. Tous les jours, on y croise des exilés du monde entier, tentant de survivre sur un bout de trottoir. A Stalingrad, sur le terre-plein central de l’avenue de Flandres, la situation est critique. Ils sont plusieurs milliers, originaires du Soudan, d’Afghanistan, d’Erythrée, à s’abriter là, dans une nuée de tentes multicolores, parfois aussi sous une simple bâche et sur un bout de carton. Il y a urgence : l’hiver approche et les cris d’alerte des riverains, excédés par ce bidonville à ciel ouvert, se font de plus en plus pressants.
Pour les autorités aussi, l’enjeu est grand. Une semaine après le démantèlement de la «jungle» de Calais, il s’agit de montrer qu’elles gardent le contrôle de la situation. Que l’évacuation du bidonville du Pas-de-Calais n’a pas provoqué de report massif de migrants vers la capitale et n’a pas mobilisé toutes les capacités d’hébergement disponibles.
Pourtant, selon nos informations, Jean-François Carenco, le préfet de la région Ile-de-France, a dû s’activer tous azimuts pour parvenir à dégoter quelque 4 000 lits afin de reloger les migrants de Stalingrad. Signe que les places sont rares, des chambres d’hôtel ont été réservées et des gymnases franciliens devraient être réquisitionnés. Une solution qui a déjà prouvé, par le passé, son caractère inapproprié pour offrir un accompagnement social de qualité. Lors des réunions de préparation, Carenco, à moitié blagueur, a même évoqué la possibilité de réquisitionner le Grand Palais.
«Il faut faire de la mise à l’abri dans l’urgence et éviter que les personnes ne dorment à la rue», souligne Aurélie El Hassak-Marzorati, directrice générale adjointe d’Emmaüs Solidarité, qui participera à l’opération au côté des pouvoirs publics. Tout en espérant que l’option des gymnases dure le moins longtemps possible. Reste que ce nouveau démantèlement ne sera probablement pas le dernier dans la capitale. Plusieurs obstacles se dressent en effet sur la route du gouvernement.
Parce que le flux des arrivées ne se tarit pas
Ces dernières semaines, entre 80 et 100 personnes arrivent quotidiennement à Paris. Un chiffre plus élevé qu’au cours de l’été, quand il tournait alors autour d’une soixantaine par jour. Cela signifie que les migrants parviennent à esquiver les contrôles de police, notamment à la frontière franco-italienne, avant de remonter vers la capitale, bien desservie par les transports en commun.
D’autant que les liens communautaires y sont importants, depuis près d’une quinzaine d’années pour les Afghans. Les migrants savent aussi qu’ils trouveront là l’aide de bénévoles, et pourront même bénéficier, au prix de longues semaines dans la rue, d’opérations de relogement (comme celle de ce vendredi), conjuguées à un accès facilité à la demande d’asile.
Parce que Paris est désormais le principal point d’attraction en France
Le bidonville de Calais, qui constituait l’étape suivante pour tous ceux souhaitant rejoindre le Royaume-Uni, n’existe plus. Et la présence policière importante dans le nord de la France dissuade probablement un certain nombre de personnes de s’y rendre, pour le moment. En attendant, elles patientent donc dans le nord de Paris, d’où certains réseaux de passeurs opèrent aussi.
Par ailleurs, le démantèlement de la «jungle» a aussi provoqué le départ de plusieurs centaines de personnes réfractaires aux évacuations en autocar vers des centres d’hébergement répartis sur tout le territoire. Certains d’entre eux vivent désormais dans les tentes de l’avenue de Flandre.
Parce que le reste du système est engorgé
L’évacuation du campement de Stalingrad, qui devrait durer toute la journée de vendredi, a aussi pour objectif de permettre l’ouverture, probablement la semaine prochaine, du centre humanitaire voulu par Anne Hidalgo. Celui-ci, situé porte de la Chapelle (XVIIIe arrondissement), pourra héberger entre 400 et 500 personnes. Mais pour éviter qu’il ne soit pris d’assaut dès ses premières heures, il s’agissait de «vider» Paris de son principal campement.
En théorie, le centre de la mairie de Paris devait combler un vide : celui du premier accueil pour les nouveaux arrivants sur le sol français. Les bénéficiaires sont censés y être hébergés cinq à dix jours, avant d’être orientés vers les structures adaptées, notamment les CAO (centres d’accueil et d’orientation) pour ceux souhaitant demander l’asile en France.
Mais le flux actuel des arrivées dans la capitale est si élevé qu’il risque de mettre la nouvelle structure en surchauffe. Le ministère de l’Intérieur continue de s’activer pour assurer la «fluidité» du dispositif, c’est-à-dire faire en sorte que les migrants passent d’un centre d’hébergement à l’autre en fonction de leur situation administrative. Une gageure. A la fin de l’année, la France devrait compter moins de 40 000 places en Centre d’accueil pour demandeurs d’asile (Cada), alors qu’ils devraient être près de 100 000 à solliciter le statut de réfugié en 2016…
Pour Pierre Henry, directeur général de l’association France Terre d’asile, il faut aujourd’hui réfléchir à la mise en place d’un «écosystème vertueux sur l’ensemble du territoire pour éviter les phénomènes de concentration». Son idée : «Créer des centres de transit dans les grandes métropoles françaises, chacune avec le même niveau de service, pour permettre l’enregistrement des dossiers des migrants dans des délais raisonnables.»
4 novembre 2016 , Sylvain Mouillard
Source : Libération