Mike E. est rentré au Nigeria il y a presque six mois déjà mais il n'a prévenu ni ses amis ni sa famille qu'il avait quitté la France. "Ils diraient que je suis fou", lâche-t-il.
A son retour, le jeune homme de 25 ans est venu se perdre à Benin City, grande ville du sud du Nigeria, à plus de 1.000 km de la région où il a grandi. Loin de cet oncle qui lui avait payé le voyage pour Paris à prix d'or.
L'eldorado européen s'est évanoui le jour où sa demande d'asile lui a été refusée. Dans une pochette en carton, il conserve encore la lettre de la préfecture française qui a bousculé sa vie.
Il lit: "La lettre dit '+Hey Monsieur Mike, votre histoire a été rejetée, vous pouvez faire appel ou retourner chez vous". Après quatre ans en France, il a choisi de revenir au Nigeria. "Parce que c'est mon pays. C'était trop trop difficile", répète-t-il en boucle.
Le processus de rapatriement, même volontaire, est laborieux. Il faut rassembler de nombreux documents, prouver sa nationalité au consulat de son pays pour qu'il délivre un passeport temporaire.
En 2015, selon les chiffres de l'Organisation internationale pour les migrations (OIM), le Nigeria, pays de 180 millions d'habitants, a été le principal pays d'origine de migrants arrivés dans l'UE via les côtes italiennes, avec 22.000 Nigérians sur un total de 153.000 migrants.
En mai dernier, Bruxelles a ouvert des négociations avec Abuja pour faciliter les "accords de réadmission" et pour obliger les autorités nigérianes à réintégrer leurs ressortissants.
Mais quand bien même, la crainte d'être rançonné par ceux qui ont aidé au départ, d'être tué par les mafias du trafic d'êtres humains, ou même l'incapacité financière de redémarrer une nouvelle vie, rend ce retour quasiment impossible.
En 2013, Manuel Valls, alors ministre français de l'Intérieur, a fortement diminué "l'aide au retour" des immigrés en situation irrégulière: en 2015, ils n'étaient que 4.748 volontaires, contre 15.840 en 2011 (chiffres de l'Office français de l'intégration et de l'immigration - Ofii)
Mike fait partie des quatre Nigérians dont le projet de réinsertion a été validé en 2015, et grâce à l'Ofii et à l'UE, il a pu ouvrir un minuscule commerce de ciment qu'il fait visiter avec fierté, même s'il reconnaît aujourd'hui ne gagner qu'un dollar par jour.
A Benin City, capitale nigériane du trafic d'êtres humains et notamment de la prostitution, l'association Idia Renaissance a mis en place un programme d'assistance pour faciliter les retours volontaires.
Aux murs, une affiche met en garde les candidats à l'émigration en pidgin (créole nigérian): "Je n'ai pas besoin d'aller à l'étranger pour devenir +quelqu'un+. Trop de Nigérians se gâtent pour aller au pays des Blancs".
L'ONG locale a été fondée en 1999 par Mme Eki Igbinedion, épouse de l'ex-gouverneur, seule officielle à l'époque à se préoccuper des problèmes de migration, qui ont "boosté l'économie dans l'Etat d'Edo", explique Roland Nwoha, coordonnateur de projets.
Depuis, Idia Renaissance travaille en collaboration avec Caritas dans de nombreux pays européens, mais depuis 2009, Roland Nwoha ne dénombre que 50 retours volontaires depuis l'UE. Une goutte d'eau.
"Pour la grande majorité d'entre eux, cela paraît plus facile d'aller de l'avant, que de reculer", analyse le travailleur social.
"Les femmes qui passent par les réseaux font des rituels de juju (magie noire) avant de partir, les trafiquants leur disent que si elles ne remboursent pas leur dette (jusqu'à 60.000 euros), elles deviendront folles. D'autres mafias utilisent la violence pour garder les filles, mais ici pas besoin. Le juju, c'est leur télécommande à distance."
Gloria n'a tenu qu'un mois sur les trottoirs de Naples. Elle a fui sa "madame" (patronne de maison close), assurant qu'elle allait chez un client, et pendant deux jours, la jeune femme de 21 ans s'est cachée dans la ville, avant de trouver le consulat du Nigeria.
"Quand je suis arrivée, ils m'ont dit : +Où est ton argent pour acheter ton billet de retour? Va-t-en+", se souvient-elle. Deux mois plus tard, elle revenait au Nigeria, mais grâce à Caritas. Elle a dormi dans la mégalopole de Lagos avant de se décider à rentrer chez elle.
Elle a finalement expliqué à sa famille : "Le temps que j'amasse les 10 millions de nairas (28.500 euros) pour vous construire une maison, mon corps serait déjà cassé".
"Maintenant, ils ont compris", ajoute-t-elle.
04/11/2016
Source : AFP